Marchés et stratégies

Etats-Unis : Le secteur de la santé en nette accélération

Plusieurs signaux montrent une franche accélération du secteur de la santé aux États-Unis. Nous analysons certains d’entre eux dans ce texte et essayons de voir quels ont été les facteurs qui en sont à l’origine.

Publié le 13 mars 2025

Santé

Guillaume Uettwiller 
Gérant Actions Thématiques - CPRAM
​​​​​​​
Nicolas Picard
Responsable adjoint du département Actions thématiques - CPRAM
​​​​​​​Bastien Drut
​​​​​​​
Responsable des Études et de la Stratégie - CPRAM

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Une franche accélération du secteur de la santé

Ces derniers trimestres, plusieurs statistiques macroéconomiques ont fait état d’un dynamisme remarquable du secteur de la santé aux États-Unis. Citons-en quelques-uns :

  • En 2023 et 2024, les dépenses en services de santé ont connu une croissance annuelle de 8 à 10%, soit une progression qui n’avait pas été aussi forte hors période de covid depuis le début des années 2000.
  • Non seulement le chiffre d’affaires des services de santé a progressé, mais leur taux de marge s’est légèrement amélioré sur les derniers trimestres.
  • Les créations dans le secteur de la santé et de l’aide sociale ont accéléré en 2023 et 2024, à tel point qu’elles ont représenté un peu plus de la moitié des créations d’emplois dans le secteur privé en 2024 alors que ce secteur ne représente que 17% des emplois privés. Sans ce secteur, le ralentissement du marché du travail aurait été bien plus prononcé et aurait probablement provoqué une action plus marquée de la Fed.
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Dans la suite de ce texte, nous nous proposons d’expliquer ce qui est à l’origine de l’accélération du secteur de la santé. Cela ne se résume pas à un seul facteur, mais découle d'un ensemble de tendances majeures qui transforment le paysage médical et économique.

Le vieillissement de la population en phase d’accélération

Le vieillissement de la population, évidemment, joue un rôle central. Aux États-Unis, l’augmentation du nombre de personnes âgées de plus de 70 ans, le phénomène démographique le plus remarquable de la décennie 2020, entraîne mécaniquement une hausse des soins, ces derniers devenant plus nombreux et plus complexes avec l’âge. À cela s’ajoute l’essor des maladies chroniques, accentué par la progression de l’obésité, un fléau qui favorise le diabète et les maladies cardiovasculaires. Plus de malades, c’est plus de traitements, et donc plus de dépenses.

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L’innovation, vecteur de croissance

Le secteur de la santé a connu un certain nombre d’innovations dans des registres très divers ces dernières années : miniaturisation, numérisation, recours à l’Intelligence Artificielle (IA) pour les diagnostics et pour les tâches administratives.

La miniaturisation des dispositifs médicaux, en particulier des cathéters, représente une avancée majeure dans le traitement des patients cardiaques. Ces cathéters deviennent de plus en plus intelligents, ce qui permet aux médecins d’éviter les procédures chirurgicales très invasives telles que les opérations à coeur ouvert.

Les robots chirurgicaux sont également l’un des progrès les plus marquants de ces dernières années. Des systèmes comme le Da Vinci d’Intuitive Surgical permettent des interventions d’une précision inégalée, réduisant les complications post-opératoires et accélérant la récupération des patients. Ces machines, pilotées par des chirurgiens, minimisent les incisions, diminuent les pertes de sang et limitent le risque d’infection. Par exemple, une prostatectomie ouverte traditionnelle nécessite généralement deux jours d'hospitalisation et un temps de récupération d'environ deux mois.

En revanche, avec la chirurgie assistée par robot, le temps de récupération peut être réduit à seulement 2 à 3 semaines. La cinquième génération du robot Da Vinci d'Intuitive, commercialisée depuis 2024, représente une avancée majeure dans le domaine de la chirurgie robotique, fruit d'une décennie de recherche et d'innovation. Ce nouveau modèle intègre des améliorations significatives, notamment une technologie de retour de force qui permet aux chirurgiens de ressentir la pression exercée par les instruments sur les tissus des patients. Avec une puissance de calcul 10 000 fois supérieure à celle de son prédécesseur, le Da Vinci 5 ouvre la voie à des applications révolutionnaires telles que la réalité augmentée ou l'analyse de données en temps réel pour optimiser la durée des opérations.

Les outils numériques transforment également la gestion des soins. La télémédecine et le suivi à distance permettent de réduire le recours aux consultations physiques, désengorgeant les établissements de santé et facilitant l’accès aux soins en zones rurales. Ces solutions de santé numériques ont pris un essor considérable au moment du Covid. Le contrôle en temps réel des variables vitales permet enfin une intervention rapide en cas de dérèglement de ces dernières.

D’ailleurs, ce contrôle en continu pour de nombreux patients génère énormément d’informations sur chacun et fournissent la matière première nécessaire pour permettre à des systèmes intelligents utilisant de l’IA de prédire, très en amont, des risques pour la santé d’un patient, ce qui permet une intervention précoce qui, là encore, évite des traitements coûteux lorsque la même maladie est prise en charge avec retard.

L’IA, quant à elle, révolutionne déjà le diagnostic : en radiologie, elle détecte les anomalies avec une précision redoutable, évitant des examens inutiles et accélérant la prise en charge. En oncologie, un modèle récemment développé par la Harvard Medical School, nommé CHIEF (Clinical Histopathology Imaging Evaluation Foundation), illustre parfaitement cette révolution. Entraîné sur 44 téraoctets de données, CHIEF atteint une précision impressionnante de 96 % dans le diagnostic de 19 types de cancer. Ce modèle spécialisé en vision par ordinateur est capable d'analyser des images de cellules cancéreuses avec une finesse inégalée et ouvre également la voie à des traitements plus personnalisés.

Enfin, l’IA peut permettre de réduire les coûts administratifs. C’est peu connu mais les dépenses administratives aux US représentent 25% des dépenses de santé (selon l’OCDE, les coûts administratifs liés à la santé sont plus de deux fois supérieurs à tous les autres pays de cette organisation), avec une multitude de coûts de frottement expliqués par la complexité de l’organisation des assureurs de santé, qui utilisent chacun leur propre codification, leurs propres logiciels et des prix des soins qui varient d’une personne à l’autre en fonction de l’assureur.

En face de ces coûts qui participent à rendre le fardeau de la santé potentiellement explosif, nous pensons que l’IA a un rôle fondamental à jouer en permettant de rationaliser et traiter en grande masse toutes les informations médicales collectées tout le long du parcours de soins. L'automatisation et les outils numériques vont simplifier les processus administratifs, réduisant le temps et les ressources nécessaires pour des tâches telles que la planification des patients ou même la gestion des dossiers.

La communication numérique directe entre patients et prestataires minimisera aussi le besoin d'intermédiaires, entraînant là aussi des réductions de coûts. Enfin, en réduisant les charges administratives, les professionnels de la santé peuvent consacrer plus de temps aux soins des patients, améliorant d’autant l'efficacité globale du système.

Des avancées médicales qui ont un coût

Les avancées médicales, aussi salutaires soient-elles, ont un coût. D’un côté, elles permettent de diagnostiquer plus tôt et de traiter plus efficacement, répondant aussi à des besoins de santé jusqu'alors non satisfaits et élargissant le champ des traitements disponibles. De l’autre, elles entraînent une hausse immédiate des dépenses. Les équipements de pointe, comme la robotique chirurgicale, exigent des investissements massifs pour les établissements hospitaliers, même si ces outils promettent des gains d’efficacité à long terme.

Par ailleurs, le coût des traitements explose, en particulier dans le domaine des maladies rares. Les thérapies géniques révolutionnent la prise en charge de pathologies autrefois incurables, mais leur développement requiert des budgets colossaux : les coûts moyens de développement d'un nouveau médicament ont atteint 2,3 milliards de dollars en 2022 et 2023 selon une étude menée par le cabinet Deloitte1. Le cas de l’Elevidys, un traitement pour la dystrophie musculaire de Duchenne facturé 3,2 millions de dollars, illustre cette tendance : des prix vertigineux, mais une efficacité qui bouleverse la prise en charge des patients.

In fine, on voit ainsi que si les innovations peuvent conduire à de spectaculaires gains de productivité dans des registres divers et à de meilleures possibilités de guérison dans le cas de certaines pathologies, elles peuvent aussi se traduire par une augmentation importante des budgets d’investissement et des augmentations de prix très importants de certains traitements. La question du financement de l’augmentation de ces coûts va donc continuer de constituer un vrai défi pour la société américaine (voir l’encadré sur l’agenda « santé » de l’administration Trump).

Le secteur de la santé aux Etats-Unis connait une croissance forte depuis deux ans, dans un contexte plus morose. Cela s’explique par plusieurs facteurs : les évolutions démographiques évidemment mais aussi l’accélération de l’innovation dans des registres très divers ces dernières années : miniaturisation, numérisation, recours à l’Intelligence Artificielle (IA) pour les diagnostics et pour les tâches administratives. Toutefois, ces innovations engendrent une augmentation importante des budgets d’investissement et des augmentations de prix très importants de certains traitements et la question du financement va donc continuer de constituer un vrai défi pour la société américaine. En réalité, l’augmentation des dépenses de santé est tout autant un challenge pour les systèmes et une opportunité : soigner plus, mais sans augmentation de la dépense, nécessite de soigner mieux.

Pour relever ce défi, le déploiement d’innovations permettant de détecter le plus tôt possible, de soigner le plus efficacement possible et d’opérer avec le coût le plus faible apparaissent comme des solutions. La medtech a évidemment son rôle à jouer dans ce cadre, grâce à la combinaison de sa R&D et de la puissance de frappe de l’Intelligence artificielle.

L’agenda « santé » de la nouvelle administration Trump

     En Bourse, le secteur de la santé a initialement très mal réagi à l’élection de Donald Trump, en raison de la réputation « anti-vaccin » de Robert Fitzgerald Kennedy Jr, pressenti pour devenir Secrétaire à la santé, puis s’est progressivement redressé à partir du début de l’année 2025.

    Il faut dire que le sujet d’une réforme de la santé est souvent abordé aux États-Unis mais que le système de santé est particulièrement peu efficace (l’espérance de vie y est plus faible que dans beaucoup de pays où les dépenses de santé sont nettement plus faibles) et que les réformes significatives sont peu fréquentes. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait d’ailleurs échoué à faire passer une réforme de la santé (l’objectif était de réduire fortement l’Affordable Care Act, passé par Barack Obama en 2010 et qui étendait la couverture santé à un grand nombre d’Américains). Plus récemment, Joe Biden avait inclus un volet « santé » dans l’Inflation Reduction Act : cette loi prévoit par exemple que le programme Medicare puisse négocier le prix de certains médicaments.

    Dans son discours d’investiture, Donald Trump a souligné que le système de santé publique coûtait plus cher que dans « n’importe quel autre pays du monde » et qu’il fallait y remédier. Cela dit, on trouve encore peu de détails au sujet d’une possible grande réforme de la santé. Une directive de la nouvelle administration demande une baisse de financement d’environ 4 Mds $ pour la National Institutes of Health (recherche médicale). Pour le moment, cette directive a été bloquée par un juge fédéral. Par ailleurs, des coupes dans les programmes Medicare et Medicaid (qui représentent aux alentours de 1 700 Mds $ dans les dépenses fédérales) sont envisagées par les parlementaires républicains afin de financer le programme de baisses d’impôts de la nouvelle administration. 

    Santé

    1. Deloitte, 2024, « Global pharma companies’ return on R&D investment increases after record low ».

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