Le marché des matières premières secoué par les tensions commerciales
La réduction du déficit commercial américain apparaît comme l’un des objectifs prioritaires de la nouvelle administration Trump. Cette nouvelle guerre commerciale a déjà très fortement affecté le marché des matières premières, de façon directe ou indirecte. Nous détaillons ici plusieurs exemples.
Publié le 22 juillet 2025

Responsable des Etudes et de la Stratégie, CPRAM
Stratégiste sénior, CPRAM
Stratégiste, CPRAM
Le gaz et le pétrole, enjeux directs des négociations commerciales
Depuis plusieurs années, les États-Unis sont devenus exportateurs nets de pétrole et de gaz, après avoir été importateurs nets pendant des décennies. Il n'est donc pas surprenant de constater que les questions de GNL occupent une place prépondérante dans les négociations commerciales actuelles entre les États- Unis et leurs partenaires commerciaux. En effet, pour plusieurs pays, importer davantage de GNL américain serait un moyen de réduire leur excédent commercial avec les États-Unis. À titre d'exemple, les opérateurs taïwanais ont récemment annoncé un plan visant à renforcer significativement leurs approvisionnements en gaz américain au cours des prochaines années. La part des États-Unis dans les importations de GNL de l'île pourrait ainsi tripler, passant de 10 % actuellement à 30 % d'ici 10 ans. L’Europe a également utilisé cet argument dans les négociations de son « trade deal » avec les Etats-Unis. Mais les attentes de l'administration américaine ne semblent pas se limiter aux volumes d'exportation. Donald Trump a en effet clairement appelé ses partenaires internationaux (et notamment le Japon et la Corée du Sud) à investir dans « Alaska LNG », un mégaprojet visant à exploiter les ressources du Grand Nord de l'Alaska et à permettre leur exportation grâce à la construction d'un pipeline de près de 1 500 kilomètres de long. A terme, il pourrait permettre l’exploitation de 3.5 bcf/jour, soit un accroissement substantiel par rapport aux capacités actuelles, essentiellement destinés à l’exportation vers l’Asie.
A contrario, les importations de produits énergétiques en provenance du Canada sont frappées d’une hausse de droits de douane spécifiques de 10 points de pourcentage et les volumes de pétrole canadien importés ont légèrement diminué depuis l’entrée en vigueur de la mesure. Par ailleurs, les annonces du « Liberation day » du 2 avril ont provoqué une baisse des cours mondiaux à cause de la détérioration des perspectives économiques.

Augmentation des droits de douane sur l'acier, l'aluminium et le cuivre… et bientôt les matières premières critiques ?
Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a relevé les droits de douane sur l'acier et l'aluminium à 25 %, puis à 50 %. Le 8 juillet, Donald Trump a annoncé l'application à partir du 1er août d'un droit de douane de 50 % sur le cuivre. Cela fait partie des droits de douane sectoriels décidés en vertu de l'article 232, censés « contrer les pratiques commerciales portant atteinte à la sécurité nationale ». L'administration Trump a lancé plusieurs autres enquêtes qui devraient entraîner d'autres hausses de droits de douane sectoriels : bois d'oeuvre, semi-conducteurs et équipements de fabrication de semi- conducteurs, produits pharmaceutiques et ingrédients pharmaceutiques, minéraux critiques transformés et produits dérivés (dont l'uranium et les terres rares). Il apparaît donc clairement que les matériaux occupent une place centrale dans la réflexion de l'administration américaine en matière de questions commerciales.
Concernant le cuivre, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a averti récemment que les projets miniers annoncés pour le cuivre dans le monde sont clairement insuffisants pour répondre à la demande croissante de ce métal au cours des 15 prochaines années. Les politiques de décarbonation de l'économie entraînent une forte augmentation de la demande en métaux de transition tels que le lithium, le cobalt, le cuivre, le nickel et les terres rares. Par exemple, une voiture électrique nécessite une cinquantaine de kilos de cuivre, contre une vingtaine pour une voiture à moteur thermique, et la production d'électricité par l'éolien et le solaire en nécessite également des quantités importantes. Le prix du cuivre, qui était déjà supérieur d'environ 60 % par rapport à son niveau d'avant la COVID-19, a fortement augmenté sur les plateformes d’échange de New York lorsque la Maison blanche a communiqué sur une hausse de droits de douane de 50% sur le cuivre.
De façon inédite, on observe que les restrictions commerciales en tout genre impliquent que le prix des matières premières n’est plus le même selon les endroits du globe : le 9 juillet, le cuivre valait environ 30% plus cher à New York qu’à Londres. Dans le même registre, suite aux sanctions internationales, le pétrole de l’Oural vaut 10 $ de moins par baril que le pétrole de Mer du nord.

Les terres rares, levier de négociation de la Chine avec le reste du monde
La demande en terres rares, qui sont utilisées dans la production d'une large gamme de produits (voitures électriques, smartphones, équipements médicaux, éoliennes, systèmes radar, applications militaires, etc.), connaît une croissance rapide. La production mondiale de terres rares a triplé au cours des dix dernières années. Etant donné leur caractère stratégique, il est donc crucial pour les grandes économies de pouvoir s'approvisionner facilement en terres rares.
Toutefois, en 2025, plus que jamais auparavant, les terres rares se sont retrouvées au coeur de conflits commerciaux entre les grandes économies. En réponse aux hausses de droits de douane américaines, la Chine a décidé de restreindre les conditions d'exportation de ses terres rares pour tous les pays. Pour rappel, les États- Unis et l'Europe dépendent fortement de la Chine pour ces matériaux, cette dernière représentant plus de 71 % de la production mondiale en 2024 (contre 12 % pour les États-Unis). La part de la Chine dans le raffinage reste nettement supérieure à celle de l'extraction minière. C’est très clairement un levier de négociations de la Chine dans les négociations commerciales en cours.
Les récentes tensions entre la Chine et l’Europe en amont du sommet de fin juillet qui devait sceller 50 ans de relations diplomatiques entre les deux pays, ont été en partie alimentées par les restrictions à l‘exportation de terres rares de la Chine. Elle a ainsi exigé des données commerciales détaillées et la transparence des chaines de valeur avant d’octroyer toute autorisation d’exportation vers l’Union européenne. Cette dernière a fait de la levée de cette contrainte un préalable aux avancées des discussions entre les deux pays.

Les matières premières agricoles, au croisement des mégatendances et de la guerre commerciale
Au cours des dernières années, les prix de certaines denrées alimentaires ont été marqués par des pics de volatilité très marqués. On peut penser au prix des fruits et légumes en Inde (pic de glissement annuel à +60% fin 2019), des oeufs aux Etats-Unis (pic de glissement annuel à +70% début 2024), ou encore du riz au Japon (pic de glissement annuel à +101% en mai 2025). Dans la majorité des cas, ces flambées de prix ont été provoquées par des évènements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, feux, etc), la propagation d’épidémies de grippes aviaires, ou encore des perturbations de l’offre liées notamment à l’urbanisation et au vieillissement de la population. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a également provoqué une forte hausse des prix des engrais et des céréales dont l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie sont des producteurs et exportateurs importants.
A cela s’est ajouté un nouveau facteur au cours des derniers mois : la guerre commerciale. Les produits agricoles (soja, poulet, etc.) figuraient ainsi parmi les premières mesures de représailles prises par la Chine envers les Etats-Unis, ce qui a provoqué une vague d’inquiétude parmi les agriculteurs américains. Lors de la précédente guerre commerciale entre les Etats- Unis et la Chine, les importations de produits agricoles américains avaient été réduites de moitié en l’espace de quelques mois - au profit notamment d’autres grands pays producteurs comme le Brésil. Ce rapprochement entre les deux pays du Sud est vraisemblablement l’une des raisons expliquant la menace de hausses de droits de douane de 50 points à l’encontre du Brésil.
Entre la Chine et l’Europe ou entre les États-Unis et l’Europe, les matières premières agricoles jouent également un rôle important et sont régulièrement utilisées pour des mesures de rétorsion. Cela a notamment été le cas des alcools européens ou du porc espagnol surtaxés par la Chine en représailles des taxes sur les importations de véhicules électriques chinois mis en place par l’Union européenne. Donald Trump a également utilisé la récente flambée du prix du riz (lequel a augmenté de 5% en moyenne chaque mois depuis le début de l’année 2025) comme moyen de pression vis-à-vis du Japon, en critiquant à plusieurs reprises les barrières à l’importation mises en place par Tokyo afin de protéger son secteur agricole.
Comme pour le pétrole et le gaz, de nombreux pays ont mis en avant leur volonté d’accroitre leurs importations de produits agricoles américains afin d’obtenir un abaissement des droits de douane. De telles propositions étaient notamment portées par la Thaïlande, les Philippines ou encore l’Indonésie, mais ces derniers n’ont (à ce jour) obtenu aucune concession de la part des Etats-Unis.

L'or en hausse, avec la vague de dédollarisation « Big, beautiful bill » ?
Le dollar américain a perdu un peu plus de 10% par rapport aux principales monnaies développées au 1er semestre 2025, une telle contre-performance du billet vert n’ayant pas été observée depuis 1973. Dans le même temps, l’or a connu en 2025 l’un de ses meilleurs débuts d’année du 21ème siècle. L’explication se trouve très vraisemblablement dans le fait que la volonté de réduire le déficit commercial américain en réalisant les plus fortes hausses de droits de douane depuis près d’un siècle, réduit et va fortement réduire la demande de dollars de la part du reste du monde. De plus, l’imprévisibilité de la nouvelle administration américaine et les menaces récurrentes fragilisent le statut de monnaie dominante du dollar et contribuent au recul de son utilisation internationale même s’il n’existe pas actuellement de monnaie capable de le remplacer. Cette vague de dédollarisation bénéficie clairement à l’or car des banques centrales diversifient leurs réserves en défaveur du dollar et en faveur de l’or et d’autres monnaies telles que l’euro.

Après la guerre en Ukraine et les tensions au Moyen- Orient, le marché des matières premières a été très secoué par la nouvelle guerre commerciale menée par les Etats-Unis contre ses partenaires commerciaux. L’impact est très différent selon les matériaux, certains étant directement ciblés par les hausses de droits de douane (acier, aluminium, cuivre, pétrole), d’autres faisant partie des leviers de négociation de la Chine (terres rares, matières premières agricoles), d’autres enfin tirant partie de la vague récente de dédollarisation (or, argent).