Souveraineté européenne

Défense européenne : le tournant stratégique et financier de l’OTAN

Damien Mariette, gérant thématique chez CPR Asset Management, décrypte l’annonce majeure de l’OTAN : consacrer 5% du PIB à la défense d’ici 2035, dont 3,5% strictement pour le militaire. Un virage stratégique qui pourrait bien bouleverser le secteur de la défense en Europe.

Publié le 15 juillet 2025

Otan
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L’OTAN vient d’adopter cet objectif inédit de 5 % du PIB dédié à la défense. Peut-on dire que c’est une rupture historique ?

Damien Mariette : Absolument, c’est un changement de cap majeur. Pendant plus de trois décennies, les dépenses de défense en Europe oscillaient autour de 2%, et souvent ce chiffre n’était même pas atteint par tous les membres. Cette décision marque donc une vraie rupture, une prise de conscience à l’échelle continentale. N’oublions pas également le rôle important joué par l’administration Trump ces dernières années, qui a très fortement poussé l’Europe à revoir ses engagements. Ce fut un « wakeup call » décisif.

Pourtant, cette annonce n’a pas été sans contestation, notamment de pays membres comme l’Espagne… 

DM : Oui, c’est vrai. Avant l’adoption officielle, l’Espagne a tenté de demander une dérogation, soulevant la crainte d’un OTAN « à la carte » où chacun choisirait ses objectifs. Mais finalement, le consensus s’est imposé, ce qui est très encourageant. Cela montre une volonté collective de renforcer l’autonomie stratégique européenne, pas juste une réaction conjoncturelle.

Ce nouvel engagement à 3,5 % du PIB strictement pour l’armée, est-il un défi considérable ?

DM : Effectivement, c’est un défi de taille, mais aussi une opportunité énorme. Il faut garder en tête que d’ici 2035, nous avons une décennie devant nous. Certains pays iront plus vite, l’Allemagne par exemple ambitionne d’atteindre ce niveau dès 2029. La Pologne est déjà à ce stade. Globalement, on passe d’un budget européen estimé à 400 milliards d’euros en 2035 à près de 780 milliards, soit presque un doublement. C’est un réinvestissement massif qui va transformer le secteur.

    Quelles conséquences pour l’industrie européenne de la défense ?

    DM : ​​​​​​​Le secteur industriel va devoir s’adapter très vite. Il faudra que les États passent effectivement des commandes, et que les capacités de production soient à la hauteur dès 2027-2028. Certains acteurs, notamment allemands, se préparent depuis plusieurs années. Prenez l’exemple de Rheinmetall, une société qui était quasi inconnue il y a peu et qui est devenue l’une des meilleures performances boursières européennes. Ce type d’acteurs illustre bien la dynamique du moment.

      Sur les marchés, ce revirement a provoqué un rattrapage des valeurs de la défense, mais certains craignent des valorisations excessives. Qu’en pensez-vous ?

      DM : ​​​​​​​Je ne pense pas que le secteur soit survalorisé dans son ensemble. Certes, certaines valeurs ont fortement progressé, anticipant beaucoup de bonnes nouvelles. Mais d’autres restent sous-estimées, notamment celles moins exposées à la croissance rapide de certains pays. C’est pourquoi la sélection des titres devient cruciale : le secteur reste thématique, mais il faut désormais faire du stock picking.

        Pouvez-vous nous préciser quels segments ou pays seront à privilégier ? 

        DM : ​​​​​​​L’Allemagne est clairement un pays clé, avec un budget de défense qui va quasiment doubler. Les entreprises liées à ce marché profiteront pleinement de cette dynamique. Côté segments, il faut surveiller les munitions, dont la demande est très forte en raison du conflit en Ukraine. Le marché terrestre, lui, est promis à une belle croissance après des décennies de déclin, notamment en matière d’équipements lourds comme les tanks.

          Pour conclure, quel est votre message pour les investisseurs intéressés par ce secteur ?

          DM : ​​​​​​​La défense européenne est une tendance structurelle à ne pas sous-estimer. Mais ce n’est plus un marché uniforme. Les perspectives vont varier grandement selon les acteurs, leur exposition géographique et leur capacité à répondre aux commandes. Il faudra aussi suivre les mouvements de consolidation industrielle qui s’intensifieront avec ces nouveaux budgets. En somme, c’est un secteur porteur, mais exigeant une approche rigoureuse et sélective.

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