Défis environnementaux

La chimie verte, l’espoir d’un monde plus propre et performant​​​​​​​

La chimie est omniprésente dans notre quotidien. Le dentifrice, les plastiques ou les crèmes solaires sont autant de produits élaborés grâce à des procédés chimiques. Leur production et leur consommation, révolutionnaires sur bien des aspects, peuvent toutefois avoir un impact assez lourd sur notre environnement. L’émergence de la chimie verte est née de ce constat.

Publié le 07 février 2022

Chimie verte
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A-t-on vraiment besoin de la chimie ?

Aujourd’hui, l’essentiel des produits que nous consommons ou utilisons ont, au moins à une étape de leur fabrication, un lien avec l’industrie chimique.

Mais la chimie moderne n’a vraiment pris son essor qu’au 19e siècle. N’est-ce pas la preuve que l’on peut vivre sans cette connaissance ? Et puis, les accidents graves qui ont ponctué le siècle dernier (Seveso en 1976, Bhopal en 1984 et AZF en 2001), auxquels s’ajoutent de multiples exemples de pollution par contaminations solides, effluents liquides ou rejets gazeux ne justifieraient-ils pas que nous soyons sceptiques à l’égard de l’industrie chimique ? Alors, ne pourrait-on pas, ne devrait-on pas même s’en passer ?

Pour répondre à cette question, Armand Lattes, Professeur à l’université de Toulouse et Directeur du GDR Décontamination Chimique et Environnement (CNRS), a publié une fiction intitulée « Et si les chimistes arrêtaient tout ». A sa lecture, on comprend que cette hypothèse n’est pas une option.

De façon générale, la chimie contribue à l’amélioration du bien-être humain et animal et comme l’écrit Stéphane Sarrade, Chef du département de physico-chimie à la Direction de l’énergie nucléaire du CEA Saclay « il ne serait pas possible de chiffrer les millions de vie sauvées par l’industrie chimique : par les médicaments de synthèse, notamment en chimiothérapie ; par les produits sanitaires et d’hygiène ; par les pesticides qui protègent les récoltes et limitent les famines… »

La chimie est présente dans tout ce qui nous entoure : transport, chauffage, alimentation, médicament, hygiène, papier, encre, peinture, engrais etc. Elle intervient au moins à un stade de la fabrication des produits que nous consommons quotidiennement et fournit les intermédiaires à d’autres industries (agroalimentaire, textile, automobile, papier…). Elle reste indispensable au maintien de notre qualité de vie, même si la conscience publique tend à vouloir réduire notre dépendance à une industrie chimique devenue gourmande en ressources fossiles, et générant parfois des pollutions graves et pénalisantes pour les générations futures. C’est dans cet esprit de maîtrise de la dépendance à la chimie qu’apparaissent les prémices d’une industrie « raisonnée », s’inscrivant dans les principes du développement durable : la chimie verte.

La chimie verte, qu’est-ce que c’est ?

La chimie verte, ou chimie durable se définit comme la conception, le développement et l’utilisation de produits chimiques et de procédés visant à réduire ou éliminer l’usage ou la formation de substances dangereuses ou toxiques pour la santé et l’environnement. Stéphane Sarrade complète cette définition : « la chimie verte, c’est concevoir des produits et des procédés industriels à partir du génie des procédés avec un impact minimum sur trois domaines majeurs : la santé des opérateurs, la qualité de l’environnement et la santé des consommateurs ».

Le concept de chimie verte est apparu aux Etats-Unis dans les années 90. Et c’est en 1998 que Paul Anastas et John Warner, chercheurs à l’Agence américaine pour l’environnement (EPA), ont jeté les bases théoriques de cette nouvelle discipline en publiant un ouvrage énonçant 12 principes fondateurs :

  1. Prévenir la pollution à la source : c’est imaginer un procédé chimique qui évite la production de futurs résidus qui deviendront des déchets.
  2. Economiser la matière première : l’économie d’atomes, c’est être capable, au sein d’une même matière première, de récupérer toutes les molécules utilisables pour diverses applications dans l’énergie, la cosmétique, l’agro-alimentaire. Il faut pour cela des outils de séparation très puissants.
  3. Travailler dans des conditions plus sûres : c’est envisageable grâce à l’utilisation de conditions opératoires douces (température ambiante, faible pression…) et l’utilisation préférentielle de produits peu ou pas toxiques pour l’homme et l’environnement.
  4. Concevoir des produits chimiques moins toxiques : il faut mettre au point de nouvelles molécules à la fois plus efficaces et non toxiques. L’innocuité est évaluée par des études toxicologiques à l’échelle cellulaire et au niveau de l’organisme.
  5. Utiliser des solvants non toxiques : c’est rechercher des alternatives aux solvants organiques toxiques et polluants, tels que le benzène, le chloroforme, le trichloréthylène, produits chimiques de sinistre réputation.
  6. Economiser de l’énergie : c’est limiter les dépenses énergétiques et mettre au point de nouveaux matériaux efficaces pour le stockage de l’énergie. C’est aussi rechercher de nouvelles sources d’énergie à faible teneur en carbone pour générer de faibles émissions de gaz à effet de serre.
  7. Utiliser des ressources renouvelables : c’est préférable à l’utilisation de ressources fossiles. La biomasse, qui représente l’ensemble de la matière organique qui compose les plantes, les arbres, les déchets animaux, agricoles ou urbains, peut judicieusement servir de matière première renouvelable. Dans le même esprit, ce concept peut être étendu à l’utilisation d’énergies renouvelables.
  8. Réduire l’utilisation de molécules intermédiaires : c’est préférer (lorsque c’est possible) mettre en œuvre des réactions directes. En effet, les étapes intermédiaires consomment des produits chimiques qui vont, fatalement devenir des déchets.
  9. Préférer les procédés catalytiques aux procédés classiques : un catalyseur est une substance rajoutée à une solution chimique et qui rend possible une réaction chimique. Il accélère la vitesse de réaction en abaissant l’énergie nécessaire à apporter pour que deux molécules réagissent entre elles. Le catalyseur sort inchangé du processus chimique, il est donc recyclable.
  10. Concevoir un produit chimique en vue de sa dégradation finale : un produit chimique finira irrémédiablement par devenir un déchet. Lorsque cela est possible, il vaut mieux le concevoir avec l’idée que tout ou partie du déchet qu’il va devenir peut être recyclé. Il doit de plus être conçu de manière à ce que sa dégradation future, naturelle ou accélérée, ne conduise pas à la création de sous-produits dangereux.
  11. Analyser en temps réel les produits chimiques et leur empreinte dans l’environnement : c’est prévenir la pollution, en contrôlant le suivi direct des réactions chimiques. Il faut être capable de détecter et de quantifier la présence d’agents chimiques et biologiques réputés toxiques, même à l’état de traces.
  12. Développer une chimie fondamentalement plus sûre : c’est choisir judicieusement les matières premières chimiques pour prévenir les accidents, explosions, incendies et les émissions de composés dangereux. La forme du produit chimique est en outre importante : une molécule gazeuse diffuse plus dans l’environnement que la même molécule sous forme solide…

Enjeux et défis à relever

Pour se substituer progressivement à la chimie « traditionnelle », la chimie verte doit montrer son efficacité technologique, industrielle, économique et sociétale. Quatre défis principaux, imbriqués entre eux, rendront cet objectif possible.

Le défi technologique

Les avancées technologiques constituent probablement l’une des principales forces motrices du développement de la chimie verte. L’illustration emblématique de ce domaine, c’est la catalyse : les réactions catalytiques sont des réactions réalisées en présence d’un catalyseur. Cet élément solide ou liquide accélère la vitesse de la réaction en abaissant le seuil d’énergie nécessaire pour permettre à la réaction de se produire. Le catalyseur permet donc d’économiser de l’énergie et de réduire le temps de réaction. Il a en outre la propriété d’être sélectif. Alors qu’une réaction classique donne souvent, outre le produit recherché, des co-produits ou sous-produits non désirés, la présence d’un catalyseur favorise la formation du produit recherché uniquement.

Le défi industriel

L’industrie doit faire face à l’augmentation des prix des matières premières issues du pétrole ainsi qu’à l’épuisement prochain de ces ressources ; une obligation de réduction drastique des émissions polluantes des procédés chimiques et en particulier de la libération des gaz à effet de serre ; une pression réglementaire forte concernant l’utilisation des matières premières, des intermédiaires de synthèse et des produits de l’industrie chimique.

Pour relever ces défis, la chimie verte ne pourra pas se tourner vers la seule technologie. Son développement devra obligatoirement passer par de nouveaux modes organisationnels au sein de l’entreprise et entre les entreprises. Cela nécessite aussi d’adapter les compétences des salariés et d’anticiper les besoins de demain.

Le défi économique

Le « glissement » d’une chimie traditionnelle vers une chimie verte impose la poursuite de la rentabilité pour l’entreprise qui la met en place. Dans les faits, un procédé vert ne pourra réellement remplacer un procédé « classique » que si le retour sur investissement est suffisamment rapide.

Un des principaux enjeux économiques de la chimie verte consiste alors dans le développement de procédés verts dont la rentabilité se rapproche ou surpasse celle obtenue par le procédé traditionnel.

Le défi sociétal

Aujourd’hui, les préoccupations environnementales se généralisent même si la modification des comportements met parfois du temps à se mettre en place.

D’un côté se trouvent les attentes de la société en termes de santé, de non-toxicité des produits consommés, de respect de l’environnement, d’éco-responsabilité des entreprises…, et de l’autre se situent les attentes des entreprises, qui doivent allier les progrès environnementaux avec les exigences de compétitivité.

D’un côté comme de l’autre, la chimie verte, pour être acceptée, doit être comprise (« acceptabilité sociétale »). De ce point de vue, la sensibilisation et la communication restent des facteurs clés de réussite.

La chimie bleue correspond à une catégorie de chimie verte tournée vers les ressources marines. Les algues présentent un fort potentiel pour la chimie bleue pour leurs applications en agriculture et agroalimentaire. En effet, les algues possèdent une large palette de molécules actives pouvant être utilisées comme engrais ou pesticides.

Des produits sont d’ores et déjà commercialisés et s’inscrivent dans une politique d’agriculture durable, avec un coût énergétique et environnemental plus bas. Ils permettent de limiter l’utilisation d’engrais azoté, de remplacer certains pesticides (fongicides, insecticides, herbicides, parasiticides, etc.). 

Des études ont montré les propriétés antibactérienne, antivirale, antifongique, larvicide, insecticide ou encore nématocide d’extraits d’algues appliqués sur des plants de tomates, de pomme de terre ou encore de tabac. Il a été également démontré l’impact positif des hormones de croissance d’algues sur des cultures traitées, en améliorant le rendement en masse, en photosynthèse des plantes. De plus, le contenu en polysaccharides des algues, et plus spécifiquement, les oligo-carrageenans permettent d’activer et d’améliorer plusieurs voies métaboliques, ce qui entraine un meilleur rendement des récoltes.

— Direction des Études Économiques du Groupe Crédit Agricole

Sources : Carbiolice, CEA, culturesciences, Unesco, Greelane, Centre d’Analyse Régional des Mutations de l’Economie et de l’Emploi

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