Réfléchir à des solutions communes aux questions écologiques et sociales
Fin du monde versus fin du mois, crise écologique versus crise sociale. Les deux grandes crises de notre temps ont longtemps été abordées de manière distincte. Avant qu’une nouvelle réalité ne s’impose chaque jour davantage : relever le défi écologique sera impossible sans traiter la crise sociale.
Publié le 11 juin 2020
L’entremêlement des crises sociale et écologique
Qui doute encore de la réalité de la crise écologique ? ONU, GIEC, cabinets indépendants… les rapports se multiplient pour alerter et décrypter les risques qui guettent notre planète et ses habitants. Au-delà des publications scientifiques et des actions militantes, c’est la survenance de premières répercussions visibles du dérèglement climatique qui font aujourd’hui basculer les opinions publiques à travers le monde : records de température, super-incendies, déplacement massif de populations…
Au même moment, partout sur la planète, un autre type de crise fait la une de l’actualité : la crise sociale liée à l’augmentation des inégalités. Alors que plus de la moitié de la richesse mondiale est détenue par 1 % des individus les plus fortunés1, la hausse des inégalités ne cesse de progresser, à l’intérieur même de chaque pays2. De l’Algérie au Liban, du Chili à la France, de l’Équateur à Honk-Hong… les réalités sont très différentes, mais de mêmes maux sont pointés par la population, de manière plus ou moins violente.
A priori distinctes, les deux problématiques apparaissent de plus en plus comme mêlées. Illustration symptomatique : le mouvement des gilets jaunes qui a émergé en réaction à la création d’une taxe destinée à limiter l’usage des véhicules les plus polluants. Nicolas Hulot, ancien de ministre de l’Environnement, a d’ailleurs souligné à cette occasion la nécessité de ne pas opposer « fin du mois » et « fin du monde ».
A y regarder de plus près, c’est à double titre que les crises environnementale et sociale sont imbriquées. D’abord, parce que les premiers concernés par la crise écologique sont… les plus pauvres. « Les dégradations environnementales rétroagissent sur les inégalités sociales, remarque ainsi Jeanne Fagnani, directrice de Recherche au CNRS. Il y a un effet de cumul des pénalités dont elles sont victimes. L’exemple le plus caractéristique est l’Afrique : les plus pauvres pour survivre sont obligés de parcourir des distances considérables pour avoir accès à l’eau ». A l’intérieur même des pays riches, ce sont les plus défavorisés qui sont les premiers touchés, à l’image des 1836 victimes causées par le passage de l’Ouragan Katrina en août 2005, en Louisiane, aux États-Unis.
Si ces crises – et leurs résolutions – sont interdépendantes, c’est aussi pour une autre raison : les populations n’accepteront pas de réaliser les efforts nécessaires au changement de leurs modes de vie, si cette transformation n’implique pas la réduction des inégalités. L’économiste Jacques Le Cacheux dresse ce constat : « la majorité des citoyens rejette les politiques nécessaires pour résoudre les crises écologiques. On ne peut le faire qu’avec l’assentiment des citoyens. Il faut concevoir des politiques qui soient efficaces et justes. » Un récent rapport de l’Ademe souligne ainsi que si les Français souhaitent une action pour le climat, ils demandent à ce que les changements soient partagés de façon juste et démocratique3. Alors même que le mouvement des Gilets jaunes met en lumière un fort rejet des solutions existantes, il parait impossible de faire l’impasse sur un immense défi : inventer une approche qui articule efficacement protection de l’environnement et réduction des inégalités.
Des initiatives environnementales comme réponse aux problèmes sociaux
Au cœur de cet objectif, se trouve la difficulté de concilier des exigences portant sur le temps court et d’autres qui touchent au temps long. Jeanne Fagnani, qui a notamment dirigé avec Floran Augagneur l’ouvrage collectif « Environnement et inégalités sociales »4, voit d’ailleurs là tout l’enjeu de la justice environnementale. A court terme : l’intérêt des catégories les plus vulnérables, avec la nécessité de leur procurer des emplois, de leur permettre d’accéder à un environnement sain, un air pas trop pollué… A long terme : l’intérêt de tous à lutter contre le réchauffement climatique et contre la pollution. Pour sortir de l’impasse, Jeanne Fagnani appelle à la mise en œuvre d’une approche multidimensionnelle : « une approche systémique qui fait que, par exemple, même au niveau des politiques publiques, il n’y ait pas forcément un seul ministère qui s’occupe des questions d’environnement, mais que l’on applique un principe de ‘mainstreaming’ ». Concrètement, cela signifierait que l’ensemble des politiques publiques intégrerait, dès leur élaboration, la question environnementale et ses effets en matière de justice environnementale. Ces politiques devraient notamment éviter que des groupes (classe sociale, genre, ethnie) soient davantage pénalisés que d’autres, que tous bénéficient autant des politiques environnementales. « S’assurer qu’aucune catégorie sociale ne soit exclue de ces politiques implique de donner la possibilité à chacune d’émettre leur avis, de dénoncer les injustices dans le cadre de telle ou telle politique ». La chercheuse remarque qu’en France, un organisme a d’ailleurs pour mission de garantir la tenue de débat sur ces questions : la Commission Nationale du Débat Public.
Pour autant, aucune solution magique ne résoudra l’ensemble des problèmes. « C’est tout un faisceau de mesures qu’il faut prendre et rendre cohérentes, souligne Jacques Le Cacheux. Des solutions existent comme le chèque-énergie, qui permet à la fois d’augmenter le prix du carbone et de maintenir le pouvoir d’achat des catégories modestes. C’est un moyen de rendre ces solutions socialement plus acceptables ». Globalement, il faudrait une politique plus ambitieuse de taxation des nuisances environnementales et de redistribution des recettes. Une telle ambition implique des changements profonds touchant des domaines aussi essentiels que les habitudes alimentaires (via les cantines scolaires par exemple) et les transports (développement des transports en commun). Tout ce qui peut permettre la réduction de notre impact doit entrer dans l’équation. Chaque nouvelle mesure devant être impérativement envisagée – et perçue par la population – comme une étape supplémentaire vers la réduction des inégalités.
1. Rapport Oxfam, 2015
2. https://wid.world/fr/world-inequality-lab-fr/
3. https://www.ademe.fr/enquete-francais-lenvironnement-vague-5
4. Documentation française, 2015