« It is the economy, stupid! »
L’économie européenne dispose d’un atout considérable pour renouer avec le dynamisme : son épargne. A une condition de l’orienter vers le financement en fonds propres de nos entreprises, tout particulièrement nos PME et ETI.
Publié le 21 février 2025

En 1992, Bill Clinton dans un débat pivot qui l’opposait au président George Bush pour la campagne présidentielle américaine avait lancé la formule prémonitoire, devenue célèbre « It is the economy, stupid ! » pour souligner le caractère essentiel des enjeux économiques dans de nombreux scrutins électoraux des démocraties occidentales. Il avait ensuite remporté l’élection.
Au cours des 20 dernières années, l’économie américaine a connu une croissance soutenue de son économie et de sa productivité et réalisé des gains d’innovation majeurs. Le fort volume d’investissement à long terme dans l’économie a permis de faire émerger des géants (Google, Nvidia, Amazon...) et les entreprises américaines bénéficient d’un écosystème très favorable notamment un accès facilité à l’investissement.
Des facteurs structurels expliquent la bonne performance de l’économie américaine, notamment le volume important d’investissement à long terme dans l’économie qui se traduit par plus d’innovation et donc plus de brevets, de robots, une large diffusion des technologies et notamment de l’IA. Par ailleurs, les entreprises américaines bénéficient d’un écosystème favorable, notamment un accès facilité au financement grâce à des dépenses d’investissement publiques et privées supérieures à celles réalisées en Europe notamment.
Des structures de financement des entreprises très différentes
Le taux d’endettement brut des entreprises rapporté au PIB atteignait 49% aux Etats-Unis en 2023 contre 55% en zone euro et 78% en France ! La croissance des entreprises est ainsi financée par fonds propres aux Etats-Unis alors que c’est par de la dette en Europe et plus encore en France. Cette tendance est encore plus marquée pour les PME et les ETI, que pour les grandes entreprises.
Le fait que les entreprises européennes s'appuient sur les prêts bancaires pour couvrir la majeure partie de leurs besoins de financement les rend particulièrement sensibles aux conditions de taux de prêt bancaire, comme au retournement de marché, et il apparait donc difficile de financer de la croissance et de l’innovation majoritairement avec de la dette.
Aux Etats-Unis, l’épargne longue et notamment les montants colossaux gérés par les fonds de pensions américains, 5000 Mds $, est mobilisée et investie à long terme dans tous les segments de l’économie américaine, des grandes entreprises aux start-up technologiques en passant par les PME et ETI, au travers de titres côtés et non cotés.
L’Europe dispose d’un atout stratégique majeur : le patrimoine financier des ménages
Les européens disposent d’un atout important, le stock d’épargne ou patrimoine financier des ménages dont le montant atteignait 32 500 Mds € pour la zone euro dont 6 300 Mds € pour la France en 2024. Ce stock continue d’être alimenté par des flux d’épargne très dynamiques et cette tendance s’est accentuée depuis la crise covid.
Ainsi, l’Europe est une zone où le taux d’épargne est structurellement élevé, 14% du revenu brut disponible en moyenne historique, notamment en comparaison de ce que l’on observe aux Etats-Unis (8% en moyenne long terme). La France se distingue au sein de l’Europe par un taux d’épargne encore plus haut à 15% et qui a connu un pic à 18% sur la période récente.
Cet atout n’est pas exploité à sa juste valeur et nécessite un changement de politique en Europe. Les lignes commencent à bouger puisque la Commission européenne souhaite développer l’Union de l’épargne et de l’investissement, projet soutenu par les autorités de supervision nationale comme l’AMF.
Mais pas assez exploitée : l’épargne française et européenne est investie dans les placements les moins risqués et les moins rentables
Abondante, l’épargne française n’est malheureusement pas fléchée vers les investissements les plus productifs pour l’économie française ni les plus rentables pour les épargnants. Les données publiées par la Banque de France montrent que 62% du patrimoine financier des français sont investis sur des comptes de dépôts ou en produits d’assurance-vie. Plus d’un tiers de l’épargne des Français est investi sur des comptes à terme ou laissé sur des comptes à vue ne rapportant qu’une rémunération très faible qui ne compense pas l’inflation. Un quart de l’épargne est placé sur des contrats en euros de l’assurance vie qui rapportent en moyenne entre 2% et 3 % par an soit à peine plus que l’inflation. Les investissements en actions représentent un tiers de ce patrimoine financier mais font la part belle aux investissements en actions de grande capitalisation ou en actions américaines, malgré des valorisations actuellement très élevées.
Et les moins rémunérateurs
L’investissement dans les PME et ETI en particulier non cotées en France n’est que faible en volume alors qu’il s’avère particulièrement rentable. Selon une étude de France Invest et EY publiée en juin 20241 les performances du capital-investissement français à fin 2023 sont restées robustes malgré un environnement économique complexe. Le taux de rentabilité interne (TRI) net sur 10 ans s’établit à 13,3 % par an, surpassant les rendements de l’immobilier (4,7%), du CAC 40 (10,5 %) et du CAC All-Tradable (10,1 %). Cette surperformance témoigne de la capacité des fonds français à accompagner efficacement les entreprises à travers les cycles économiques.
Et l’épargne actions est peu investie en Europe et dans les PME et les ETI qui sont une composante essentielle de notre tissu économique
Le basculement hors d’Europe du centre de décisions d’investissement de grandes maisons de gestion a orienté l’offre vers les allocations en grandes capitalisations internationales au détriment des PME -ETI.
Une étude de l’ESMA2 de mai 2024, montre que les actions européennes représentaient 51% du total des actifs des fonds actions UCITS en 2015 mais que cette proportion avait fortement chuté pour ne plus s’élever qu’à 35% en 2022. Sur la même période, la part des actions américaines a progressé de 27% à 42% dans ces portefeuilles. Il s’agit ici d’une moyenne puisque le lieu de domiciliation du gérant impacte fortement son allocation géographique. Le poids des actifs hors Europe est beaucoup plus fort pour les fonds domiciliés en Irlande, au Luxembourg ou aux Pays-Bas qu’en France. Selon l’AFG, la part des « smids » dans les portefeuilles d’actions européennes est plus forte pour les gestionnaires d’actifs européens (33%) que pour les gestionnaires d’actifs non européens.
Il apparait donc nécessaire d’opérer un fléchage au sein des allocations actions pour favoriser les investissements en actions européennes, comme souligné par le rapport Draghi. Les entreprises françaises et en particulier les PME et les ETI ont plus que jamais besoin de financer leur capacité à innover, à se transformer pour accompagner la réindustrialisation souhaitée ainsi que les transitions digitale, environnementale et énergétique, et grandir à l’international. Pour cela, l’économie française comme l’économie européenne ont besoin d’investissements en equity et non en dette.
La loi industrie verte, un facteur d’accélération pour l’investissement actions
Plusieurs textes de lois ont eu pour objectif d’accroitre les investissements privés dans le tissu productif. Ainsi, la loi Croissance de 2015 introduisait pour la 1ère fois le capital investissement dans les contrats d’assurance vie ; puis, la loi PACTE de 2019 en rendant plus attractif les dispositifs d’épargne retraite PER, a eu pour objectif d’orienter l’épargne longue des Français vers l’investissement dans l’économie réelle. Quatre ans après, 110 Mds € avaient été collectés à travers plus de 10 millions de Français souscripteurs.
La France est ainsi devenue le 1er marché européen en matière de capital investissement en passant de 1% d’allocation d’actifs en private equity en 2017 à un peu plus de 2% en 2022. Selon Cambridge Associates, les États-Unis ont connu une dynamique encore plus soutenue sur la période récente et ont vu passer les investissements en private equity de 2% des allocations en 2000 à près de 20% en 2022 soit un tiers de l’allocation actions …
La loi Industrie Verte promulguée en Octobre 2024, a pour objectif d’accélérer encore davantage l’accès au capital investissement auprès de l’ensemble des français en l’intégrant dans les grilles d’investissement de l’assurance-vie et de l’épargne retraite par horizon de temps. La nouvelle structure juridique ELTIF 2.0 (European Long Term Investment Fund) qui a pour objectif de financer l’économie réelle et qui s’adresse à tous les épargnants européens sans barrière à l’entrée apparait comme une structure pertinente surtout lorsqu’elle est investie majoritairement en actions. Un ELTIF 100% actions combinant des sociétés en devenir et des sociétés déjà installées (cotées /non cotées) apparait bien adaptée aux besoins des assureurs pour leurs grilles pilotées et répond à leurs exigences de liquidité.
Un bon point d’entrée aujourd’hui pour l’investissement en actions dans les PME ou le non-côté
Le private equity présente des valorisations actions très raisonnables et les actions smids caps françaises sont particulièrement décotées. Elles présentent ainsi une décote de prix de près de 15% par rapport aux grandes capitalisations alors que leur décote historique était plutôt de l’ordre de 5%.
Une analyse de Reuters indique que les fonds européens lancés en 2021 présentent un taux de rentabilité interne médian de 14,5 %, supérieur aux 11,6 % observés en Amérique du Nord. Cette différence s’explique en partie par des valorisations d’actifs plus basses en Europe, offrant des opportunités d’acquisition à des multiples inférieurs.
1 Performance nette du Capital-investissement français – France Invest EY Juin 2024
2 Construire des marchés de capitaux plus efficaces et plus attractifs dans l’UE