Changements démographiques et sociaux

Investir dans l'éducation, plus nécessaire que jamais

L’éducation a été l’un des premiers domaines touchés par la crise de la Covid, avec les fermetures d’école pour empêcher la propagation de l’épidémie. Par ailleurs, il est manifeste que cette crise a touché de façon disproportionnée les personnes les moins diplômées. Dans ce contexte, il apparaît encore plus urgent que d’ordinaire d’investir massivement dans l’éducation.

Publié le 15 septembre 2020

cpram
LinkedIn
Twitter
Facebook
Email
Lien

Des fermetures d’école qui ont accru les inégalités

Pour éviter la propagation du coronavirus, les écoles ont fermé leurs portes temporairement à peu près partout dans le monde. Au plus fort de la crise fin avril1, 1,5 milliard d’élèves étaient affectés par des fermetures d’écoles dans 180 pays, soit 85 % des enfants du monde. À la mi-juillet 2020, plus d’un milliard d’apprenants étaient encore touchés par ces fermetures, ce qui représentait 61 % du total des inscriptions scolaires dans le monde.

Face aux fermetures d’écoles, les Etats ont dû organiser dans l’urgence la continuité des apprentissages et ces efforts ont pu participer à l’accroissement des inégalités. Plus de 90 % des pays ont mis en place des politiques d’enseignement à distance, via des retransmissions télévisées ou radiophoniques ou via internet. Les pays les plus riches ont privilégié les enseignements digitaux et les émissions télévisées et les plus pauvres les émissions radiophoniques. Cependant, l’UNICEF2 estime qu’au moins 463 millions d’enfants, soit 31 % des écoliers du monde, n’ont eu accès à aucun de ces programmes, notamment à cause du manque d’équipement dans les familles, ce qui accroît mécaniquement les inégalités relatives à l’éducation. Les fermetures d’écoles ont également entraîné des décrochages scolaires, déjà constatés lors d’épidémies précédentes3.

Les enfants n’ayant eu aucun accès à l’éducation à distance se trouvent majoritairement dans les pays les plus pauvres. Toutefois, la crise de la Covid a aussi accentué les inégalités scolaires au sein des pays riches. Comme l’indiquent les données de Opportunity Insights, l’écart en termes de réussite aux tests scolaires s’est nettement accru depuis mars entre les localités à revenus faibles et les localités à revenus élevés aux Etats-Unis. Les élèves des filières professionnelles ont davantage subi de ruptures dans leurs apprentissages que les filières générales.

Les pertes d’apprentissage et les décrochages scolaires ont des impacts à long terme en générant des pertes de capital humain. Des économistes de la Banque Mondiale4 estiment à 10 000 milliards de dollars les pertes en revenus futurs associées aux fermetures d’école lors de la crise de la Covid (soit l’équivalent de 11 % du PIB mondial de 2019). Ces pertes sont particulièrement importantes dans les pays pauvres et dans les milieux défavorisés, ce qui exacerbe les inégalités. Comme l’a bien résumé récemment Isabel Schnabel, membre du Directoire de la BCE, « les divergences constatées en termes d’apprentissage sont avant tout problématique car elles peuvent mener à des différences persistantes au niveau de l’accumulation en capital humain, creusant ainsi les inégalités sur le long terme ».

La crise de la Covid a davantage pénalisé les moins diplômés

Il est désormais manifeste que la crise de la Covid a exacerbé les inégalités économiques dans les pays développés en pénalisant encore un peu plus les moins avantagés. Dans le cas des Etats-Unis, des chercheurs de la Fed5 ont montré que les jeunes ont davantage perdu leurs emplois que leurs aînés, les femmes que les hommes, les noirs et les hispaniques que les blancs et les moins diplômés que les plus diplômés.

Il avait déjà été mis en évidence lors des récessions précédentes6 que les moins diplômés avaient perdu davantage leurs emplois que les autres. Mais cela a été beaucoup plus marqué sur la récession de 2020. De ce point de vue, les diplômes constituent bien une « arme anti-crise » mais encore faut-il avoir la possibilité de se former et d’apprendre alors que les investissements liés à l’éducation peuvent se trouver sous pression du fait de la crise…

Quelles conséquences de la crise économique sur l’éducation ?

La chute de la croissance va se traduire par une baisse très importante des recettes fiscales. Les pays les plus vulnérables ne pourront pas nécessairement sanctuariser leurs dépenses d’éducation. Après la crise de 2008, la plupart des pays de l’OCDE ont dans un premier temps maintenu, voire augmenté leurs dépenses publiques consacrées à l’éducation mais des coupes sont intervenues dans un second temps avec les mesures d’austérité qui ont commencé à se mettre en place à compter de 2010. L’OCDE estime qu’un tiers des pays de l’OCDE ont réduit leurs budgets de l’éducation entre 2009 et 20107. Son étude montre également que les salaires des enseignants ont été gelés ou baissés entre 2009 et 2011 dans 12 des 25 pays pour lesquels les données étaient disponibles. Les pays les plus pauvres et dépendant de l’aide internationale ont été les plus affectés par la baisse des dépenses d’éducation. L’OCDE cite le Tchad ou le Niger où les dépenses d’éducation ont chuté de 7 % et 10% entre 2009 et 2010.

Dans le cas particulier des Etats-Unis, l’implication croissante des Etats en matière d’éducation a exacerbé l’impact de la récession de 2008/2009 sur l’éducation, puisque les difficultés budgétaires qu’ils ont rencontrées les ont contraints à effectuer des coupes sombres. En 2020, les difficultés financières des Etats, qui prennent en charge une partie de l’assurance chômage, vont mener ou mènent déjà à des coupes de budget et à des dizaines de milliers de licenciements d’enseignants. C’est notamment pour cette raison que les négociations actuelles au sujet d’une nouvelle phase de soutien budgétaire sont cruciales pour l’éducation.

En Europe, les budgets 2021 sont encore à l’état de projet mais néanmoins la tendance qui se dessine est plutôt une augmentation des dépenses publiques consacrées à l’éducation en Europe en 2021. Cela s’explique en partie par le fait que les politiques budgétaires vont rester encore globalement expansionnistes l’année prochaine.

En France, les fonds alloués au Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur dans le projet de loi de finances pour 2021 augmente de 2,7 Mds € en 2021 pour atteindre 76,1 Mds €. Les dépenses éducatives peuvent également faire partie des plans de relance nationaux aux côtés des dépenses pour la santé, la protection sociale et le soutien à l’activité. Par exemple, sur les 100 Mds € du plan de relance français, 8,5 Mds € seront consacrés à la formation des salariés et des chômeurs ainsi qu’au développement de l’Edtech.

En Allemagne, le projet de budget 20218 prévoit une augmentation du budget fédéral consacré à l’enseignement de 1 Mds € à 40,3 Mds €. Mais le plan de relance de 130 Mds € prévoit des mesures de financement de la formation continue, des financements pour étendre la journée scolaire (4 Mds €) ainsi que le développement du numérique à l’école avec 1 Md € de plus alloué au Digital Pakt.

Pour les pays qui ne disposent pas de marges de manœuvres budgétaires, le recours aux fonds européens peut permettre de financer des dépenses liées à l’éducation ou à la recherche. C’est ce qu’a suggéré Ignazio Visco, le gouverneur de la Banque d’Italie, qui a conseillé au gouvernement de recourir au financement proposé par le fonds de relance européen pour améliorer les infrastructures et les ressources consacrées à l’éducation et à la recherche.

La place de l’éducation dans les plans de relance budgétaire

L’éducation n’est pas une des prérogatives européennes mais reste entre les mains des États membres. Cependant, la Commission européenne a mis en avant la recherche, l’innovation et l’éducation comme des domaines clés pour faciliter la reprise et la résilience face à une prochaine crise. Dans ce cadre, elle a proposé d’augmenter les budgets alloués à deux programmes européens en lien avec l’éducation via le cadre financier pluriannuel (CFP) et/ou le plan de relance européen, Next Generation EU. Il s’agit d’Horizon Europe, le programme de recherche et d’innovation, et d’Erasmus +, le programme de mobilité étudiante. Les arbitrages ne sont pas encore définitifs mais Horizon Europe devrait disposer de 5 Mds € supplémentaires via le plan de relance, soit 80,9 mds € au total. Le programme Erasmus + se voit doté d’une enveloppe de 21,2 Mds €, certes rabotée de 3,4 Mds € par rapport à la proposition initiale de la Commission mais néanmoins bien supérieure à celle de la période 2014-2020 qui atteignait 14,7 Mds €.

Next generation EU prévoit également de renforcer de 8,2 Mds € le budget alloué au Plan d’action pour l’éducation numérique (Digital Education Action Plan) lancé en 2018, afin de renforcer les compétences digitales des citoyens européens.

Enfin, le Fonds social européen finance également des programmes de formation dans le but de promouvoir l’emploi et l’inclusion sociale.

En Europe, les dépenses d’éducation devraient être préservées au moins à court terme d’autant plus que la crise a mis en avant les inégalités en matière de continuité de l’enseignement et d’accès au numérique. C’est d’ailleurs sur ces aspects, accès au numérique et renforcement de la cohésion, que les budgets et les plans de relance ont mis l’accent.

Aux Etats-Unis, l’éducation occupait déjà un rôle important dans le CARES Act, le principal plan de soutien budgétaire adopté cette année, et devrait être une composante encore plus importante de la prochaine phase de soutien budgétaire.

Dans le cadre du CARES Act, 30,7 Mds $ étaient destinés à l’éducation, avec en particulier :

  • 13,2 Mds $ pour les écoles K12 (des jardins d’enfants aux lycées)
  • 14 Mds $ pour les universités
  • 3 Mds $ que les gouverneurs peuvent utiliser pour les institutions « significativement impactées ».

    Les objectifs du CARES Act en termes d’éducation étaient multiples. Il devait permettre de venir en aide aux enfants des familles défavorisées, de former le corps enseignant aux bonnes pratiques sanitaires, d’acheter le matériel nécessaire pour nettoyer et désinfecter les bâtiments, d’acquérir les équipements technologiques nécessaires pour l’enseignement à distance et d’améliorer l’accès à internet pour les étudiants et les enseignants. Pour les écoles K12, l’utilisation des fonds était gérée par les agences d’éducation des Etats (State Educational Agencies). Pour les universités, les fonds étaient versés directement aux institutions et devaient servir pour au moins 50 % à venir en aide aux étudiants en difficulté financière.

      Le nouveau plan de soutien voté par la Chambre des représentants le 1er octobre (mais pas pour le Sénat) allouerait 208 Mds $ supplémentaires pour l’éducation (dont 175 pour les écoles K12 et 27 Mds pour les universités). La contre-proposition du secrétaire du Trésor Steven Mnuchin comprenait 150 Mds $ pour l’éducation. Au final, l’adoption d’une nouvelle phase de soutien budgétaire est absolument décisive pour les écoles.

        La hausse des budgets alloués à l’éducation s’avère très dépendante de la capacité des Etats à mettre en place des plans de relance ambitieux. Il est probable que de nombreux pays ne seront pas en mesure de maintenir leurs efforts budgétaires dans ce domaine au cours des prochaines années, ce qui contribuerait à une hausse des inégalités dans l’accès à l’éducation. De plus, au sein d’un même pays, les inégalités scolaires se sont accrues pendant les périodes de fermetures d’écoles, frappant bien davantage les élèves défavorisés socialement, les filières professionnelles … La crise sanitaire n’est pas terminée mais les investissements dans l’éducation doivent constituer une priorité pour éviter que la crise économique ne laisse une empreinte durable sur une génération d’élèves/étudiants.

          Bastien Drut et Juliette Cohen, Stratégistes chez CPR AM

            1. Banque mondiale. 2020. «World Bank Education and COVID-19.»
            2. UNICEF, 26 August, “COVID-19: are children able to continue learning during school closures?”.
            3. L’expérience de la crise d’Ebola en Sierra Leone a montré que le taux d’abandon scolaire avait fortement augmenté, notamment pour les filles entre 12 et 17 ans qui avaient 16% de probabilités en moins d’aller à l’école. Pourtant, le gouvernement avait pris des mesures pour limiter le décrochage scolaire en annulant les frais d’examen et en subventionnant les frais d’inscription de l’enseignement secondaire.
            4. “Learning losses due to COVID-19 could add up to $10 trillion”, Brookings, 30 juillet 2020.
            5. Cajner T. et al., 2020, “The US labor market during the beginning of the pandemic recession”, NBER Working Paper 27159.
            6. Hoynes H., D. Miller et J. Shaller, 2012, “Who suffers during recessions?”, NBER Working Paper 17951.
            7. “What is the impact of the economic crisis on public education spending?”, Education Indicators in Focus, No.18 (2013). OECD
            8. Ministère des finances allemand – budget 2021 et cadre financier 2021-2024.

            Découvrez également