L’hydrogène propre, une filière indispensable pour la transition climatique
Publié le 10 juillet 2024
Quels sont les objectifs principaux de la production d’hydrogène propre ?
Le changement climatique est provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre depuis de nombreuses années. Plus de 40 gigatonnes proviennent de l’utilisation d’énergies fossiles en 20231 . Pour limiter les conséquences de ce changement, il est indispensable de supprimer ces émissions le plus rapidement possible. Les énergies renouvelables ou nucléaires permettent de réduire ces émissions via la production d’électricité à faible émission carbone. Toutefois, cette électricité ne pourra pas être la réponse à tous les défis notamment pour certaines activités industrielles à fortes émissions. L’hydrogène propre, obtenu par un procédé de production faiblement émetteur, intervient alors comme un moyen complémentaire de l’électricité pour décarboner certaines de ces activités et la production d’hydrogène actuelle elle-même.
Quelles sont les principaux modes de production et les principales utilisations actuelles de l’hydrogène ?
L’hydrogène naturel n’est pas encore exploité industriellement. L’hydrogène produit aujourd’hui provient principalement de molécules de méthane que l’on trouve dans le gaz naturel ou les déchets organiques et marginalement de molécules d’eau. Dans le monde, nous produisons environ 100 millions de tonnes d’hydrogène notamment pour synthétiser de l’ammoniac afin de fabriquer des engrais azotés mais aussi pour raffiner du pétrole. Malheureusement, ces procédés de production d’hydrogène classiques sont fortement émetteurs, environ 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit pour les procédés de vaporéformage du méthane2. Il y a donc déjà un enjeu de décarbonation de la production actuelle d’hydrogène d’un gigatonne environ. Pour rappel, les européens ont réduit leurs importations de méthane russe mais dépendent encore des importations d’engrais azotés russes.
Quels sont les principaux procédés pour décarboner cette production d’hydrogène et ainsi produire de l’hydrogène propre ?
Une première solution consiste à compléter les procédés de vaporéformage du méthane par des technologies de capture de carbone, de transport et de stockage géologique : c’est par exemple le cas du projet d’Exxon à Bayton au Texas en attente de la décision finale d’investissement (FID). Une deuxième solution consiste à produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau au moyen d’une électricité produite avec des énergies renouvelables : c’est le cas du plus grand site au monde exploité par Sinopec à Kuqa au Xinjiang.
Quelles sont les principales activités fortement émettrices qui pourraient aussi bénéficier de l’hydrogène propre ?
La sidérurgie est une activité fortement émettrice notamment à cause de l’utilisation de charbon pour la réduction du minerai de fer. Or il est possible de remplacer le charbon par de l’hydrogène. Cependant, ce changement nécessite des investissements importants dans de nouvelles infrastructures. Les sidérurgistes allemands ont décidé de les réaliser grâce une aide d’environ 7 milliards d’euros du gouvernement fédéral approuvée par la Commission européenne suite aux premiers tests suédois. Posco en Corée et Nippon Steel au Japon ont aussi lancé des projets pilotes dans ce domaine. L’Australie réfléchit de son côté à réduire le minerai de fer avec de l’hydrogène propre sur son sol avant de l’exporter.
La production d’engrais azotés, indispensables pour nourrir la planète, dépend de procédés de synthèse d’ammoniac fortement émetteurs. Or la production d’hydrogène propre permet de produire de l’ammoniac propre et donc des engrais azotés propres : c’est la voie adoptée par le groupe Yara. De plus, l’ammoniac est un moyen économique et efficace pour transporter l’hydrogène car on sait depuis très longtemps synthétiser de l’ammoniac à partir d’hydrogène3 mais aussi craquer la molécule d’ammoniac pour en extraire l’hydrogène. Le projet d’Exxon à Bayton va aussi produire de l’ammoniac propre et l’exporter en Europe et en Asie. C’est le cas aussi pour le projet NEOM en Arabie Saoudite en cours de construction.
225 navires propulsés au méthanol sont actuellement en construction notamment en Chine et en Corée. A leur livraison en 2028, ils pourront être alimentés par du méthanol propre issu d’hydrogène propre. Des projets de production de méthanol propre ont été lancés en Scandinavie et en Chine pour fournir les 14 millions de tonnes de méthanol propre et donc au moins 1,75 millions de tonnes d’hydrogène propre. D’autre part, de nombreux projets de navires propulsés à l’ammoniac propres ont aussi été lancés au Japon et en Corée.
Enfin, la production d’hydrogène liquide utilisée pour les bus et les camions en Chine et en Corée, par exemple, peut aussi bénéficier de la production d’hydrogène propre. La plus grande unité de production d’hydrogène liquide4 du monde vient d’être inaugurée en Corée pour alimenter les bus et camions locaux. Il y a aussi des projets analogues aux États-Unis, pays leader de l’utilisation de l’hydrogène pour les chariots élévateurs, notamment dans le groupe Amazon assisté de l’entreprise Plug Power. Le transport aérien est aussi concerné par l’obligation d’utiliser du kérosène propre produit avec de l’hydrogène propre à l’aide du procédé Fischer-Tropsch5.
Quels sont les principaux freins du développement de l’hydrogène propre ?
Cette transition nécessite d’énormes investissements que les entreprises ne peuvent pas supporter seules. Les états ont donc accompagné ce changement avec des subventions sous certaines contraintes d’éligibilité climatique. La Chine est actuellement leader dans les projets d’hydrogène propre produit par électrolyse d’eau à partir d’énergies renouvelables. Cependant, la réglementation aux États -Unis n’a toujours pas abouti deux ans après l’annonce des crédits d’impôt pour la production d’hydrogène propre dans le cadre de l’ « Inflation Reduction Act ». En Europe, nous disposons depuis un an d’une réglementation pour l’hydrogène renouvelable mais pas encore pour l’hydrogène bas carbone produit à partir de méthane.
Enfin, la France ne respecte pas son calendrier sur la révision de sa stratégie hydrogène, et sur son aide portant sur 4 milliards. Ce retard a laissé place dans la presse à une certaine méfiance vis-à-vis de la filière. L’Allemagne, quant à elle, a pris une position très claire pour la décarbonation de sa sidérurgie, sur les importations et la construction de pipelines mais semble reculer pour la mobilité hydrogène avec des réactions virulentes dans le secteur. Ces retards réglementaires ont engendré de nombreux retards ou annulations pour les décisions finales d’investissement (FID) de projets en Europe et aux États-Unis6.
De plus, l’hydrogène renouvelable européen est beaucoup plus cher que l’hydrogène obtenu par vaporéformage et les aides actuelles ne permettent pas de compenser cet écart (environ 5 euros par kg d’hydrogène). Les champs d’application de cet hydrogène propre sont donc revus à la baisse.
En revanche, la Corée et le Japon avancent très vite dans la mobilité, l’industrie lourde, les transports mais parfois aussi de manière controversé : c’est par exemple le cas dans l’utilisation de l’ammoniac dans les centrales à charbon pour réduire les émissions de CO2.
Pour compléter l’analyse, il faut aussi noter qu’en raison de du contexte géopolitique, les occidentaux veulent être moins dépendants de l’offre chinoise.
Quels sont les points d’attention ?
Nous attendons toujours la finalisation de la réglementation américaine qui bloque sur deux difficultés techniques majeures : la prise en compte des fuites de méthane dans le calcul des émissions de l’hydrogène propre issu du méthane («well to gate émission») car des observations satellitaires ont révélé les très mauvaises pratiques du secteur pétrolier et gazier et la prise en compte de contraintes sur réseau électrique pour la production d’hydrogène propre à partir d’eau car l’électricité américaine n’est pas encore propre et son réseau est déjà sous tension.
Pour le premier point, la Maison Blanche a lancé a une «task force» sur le méthane et vient de publier de nouvelles obligations de déclaration des émissions de méthane des entreprises du secteur des énergies fossiles avec des pénalités en cas de dépassement de seuils (900 dollars la tonne pour les déclarations de cette année).
Pour le second point, le département de l’énergie fournit des aides pour rendre les technologies d’électrolyses plus compétitives et l’IRA favorise le financement de la production d’électricité renouvelable ou nucléaire. Il faut aussi suivre les FID des projets, les champs d’application des projets et les contrats de livraison à long terme. Il ne faut pas oublier que les acteurs rencontrent aussi des difficultés techniques plus importantes que prévues pour accroitre la taille des projets notamment pour des raisons de sécurité. Malgré toutes ces difficultés, nous sommes convaincus que l’hydrogène propre reste indispensable pour la transition climatique afin de décarboner de nombreuses activités fortement émettrices.
Source :
- https://www.ft.com/content/f0e1f4fa-bc5a-45e9-9257-871dae461e5d
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Vaporeformage
- Source : procédé Haber-Bosch, https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9d%C3%A9_Haber
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Hydrog%C3%A8ne_liquide
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9d%C3%A9_Fischer-Tropsch
- https://www.ft.com/content/14a60649-172a-45c1-99a9-039f481430e7