Changements démographiques et sociaux

L'industrie du luxe face au défi des grandes tendances contemporaines

Se nourrir des grandes tendances de notre temps sans pour autant dénaturer la singularité de son positionnement haut de gamme... Pour réussir ce numéro d’équilibriste, les acteurs de l’industrie du luxe mettent à profit leurs moyens financiers hors norme pour engager, depuis plusieurs années, des mutations profondes. Tendances, orientations stratégiques, nouvelles perspectives… Le point sur un mouvement de fond.

Publié le 08 mars 2022

cpram
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Un bel exemple de courbe en V. Après une chute historique de 23 % en 2020, le marché mondial du luxe a augmenté de près de 15 % en 2021, pour un chiffre d’affaires total estimé à 1 400 milliards de dollars. Plus encore, la vente des biens de luxe personnels (englobant prêt-à-porter, maroquinerie, chaussures, montres, bijoux, cosmétiques et parfums) – soit le cœur même du secteur – a progressé l’année dernière de près de 30 %, un record. LVMH, le géant français du luxe, a vu ses ventes bondir de 44 % par rapport à 2020 et même de 20 % par rapport à 2019. Le cabinet Bain & Company table sur une croissance du secteur comprise entre 6 et 8 % par an d’ici 2025. 

Des tendances de fond à l’origine d’un élargissement de la clientèle

« L’industrie du luxe est historiquement en croissance, rappelle Claudia D'Arpizio, Global Head Fashion & Luxury chez Bain & Company, l'auteur principal de l'étude annuelle Bain/Altagamma « Luxury Goods Worlwide Market Monitor ». Mais le premier facteur expliquant cette forte reprise est l’émergence d’une nouvelle clientèle ». Comme dans de nombreux domaines, la pandémie a accéléré une série de bouleversements déjà en cours.

L’un des principaux moteurs de croissance est la Chine, dont le poids a doublé en à peine deux ans pour atteindre 60 milliards d’euros, soit plus de 20 % du marché mondial. Si le continent américain reste à l’origine de 31 % de la consommation, tout laisse à penser que le géant asiatique va devenir l’épicentre de la consommation du luxe dans les années à venir. Mais l’élargissement de la clientèle du luxe ne se limite pas à l’Asie. « Un autre changement significatif concerne la géographie locale, précise Claudia D'Arpizio. Jusqu’à présent, les clients des marques de luxe se concentraient dans les grandes agglomérations, ce qui a tendance à être de moins en moins vrai, du fait notamment de déménagements dans de plus petites villes. Les marques s’adaptent en conséquence, en y ouvrant des pop-ups store mais aussi en développant l’achat à distance ». Une bonne part de la dynamique observée aux États-Unis est ainsi issue des villes secondaires et de zones suburbaines.

L’élargissement de la clientèle est également lié à l’évolution de l’âge des consommateurs du luxe. Les nouvelles générations, notamment, entretiennent un rapport différent avec le secteur. Claudia D'Arpizio remarque un changement de fond apparu dans les années 1990, qui n’a eu de cesse de s’accentuer : « par le passé, la clientèle du Luxe était presque exclusivement composée d’adultes exerçant une activité professionnelle. Désormais, ce sont quatre générations de consommateurs qui sont actives, avec les jeunes (millennials et génération Z), mais aussi les grands parents ».

Un luxe plus responsable et digital, pour une expérience client renouvelée

Cet élargissement de la base de consommateurs, et particulièrement son rajeunissement, n’est évidemment pas sans conséquence pour les marques. L’offre doit ainsi évoluer, avec la commercialisation de produits pouvant servir dans davantage d’occasions : chaussures décontractées, vêtements sportwear, articles de voyage, etc. Avec l’âge, c’est aussi le sens même donné à l’achat de produits de luxe qui évolue. « Il s’agit moins de montrer sa richesse que sa personnalité et de bénéficier de l’image liée à l’enseigne, précise Claudia D'Arpizio. Les consommateurs sont ainsi beaucoup plus pointilleux sur les marques qu'ils choisissent et les valeurs qu’elles véhiculent. Celles-ci comprennent qu'elles doivent accroître leur transparence. Même si elles ne sont pas toujours mûres, elles communiquent donc leur volonté, montrent leurs stratégies en matière de durabilité (matériaux, réduction du CO2 , etc.) ». 

On voit ainsi émerger l’aspect « durabilité », notamment aux États-Unis et en Europe, avec la prise en considération de différentes causes, au premier rang desquels le bien-être animal et le respect de l’environnement. Un pas franchi avec succès par un certain nombre de marques. Pionnière, Stella McCartney a ainsi fait, dès les années 2010 de son positionnement de Maison éthique et responsable, avec notamment des sacs en cuir végétal à base de racines de champignon, un atout de poids.

De même, les acteurs du luxe n’hésitent plus à investir un autre champ longtemps considéré contraire aux valeurs liées au haut de gamme : la seconde main. A la suite de Stella McCartney (encore), Gucci et Burberry se sont par exemple rapprochés en 2020 de TheRealReal, le dépôt-vente qui démocratise le luxe d'occasion depuis dix ans. En septembre 2021, Gucci a lancé GucciVault, un concept store en ligne proposant des pièces de seconde main, restaurées et remises en état. Autre exemple symptomatique : le choix récent des grands magasins parisiens, le Printemps et les Galeries Lafayette, d'inaugurer des espaces de plusieurs centaines de mètres carrés entièrement dédiés à la mode circulaire. Le marché du luxe d'occasion a ainsi atteint 33 milliards d'euros en 2021, soit une augmentation de 65 % entre 2017 et 2021 – contre 12 % pour le luxe de première main sur la même période.

Autre nouveau levier de croissance du luxe : les ventes en ligne. Après un bond de 50 % entre 2019 et 2020, elles ont progressé de 27 % entre 2020 et 2021, pour un total de 62 milliards d’euros. Là encore, le sujet a longtemps fait l’objet de méfiance de la part des acteurs. Mais la crise sanitaire et le rajeunissement de la clientèle ont clairement changé la perception. Dans une période de distanciations sociales, les enseignes ont notamment mesuré à quel point le digital pouvait constituer un canal privilégié pour faire vivre leurs relations avec leurs clients – alors même que plus de 85 % des achats de produits de luxe en 2021 sont influencés par le web et plus de 50 % ont lieu grâce au digital. Et la croissance du numérique ne devrait pas s’arrêter là. D’ici 2025, le e-commerce devrait représenter jusqu'à 30 % du total des achats de produits de luxe grâce à la création d’un cercle vertueux omnicanal (commerce électronique direct, distribution indirecte en ligne et magasins physiques).

Désireux de proposer des expériences inédites à leurs clients, les acteurs de luxe se positionnent parallèlement sur les nouveaux horizons virtuels. Sacs Gucci virtuels disponibles sur Roblox, Balenciaga sur Fornite, jeux vidéo intégrant des NFT de Louis Vuitton… les grandes Maisons font même figure de pionnières sur les deux tendances technologiques du moment : les métavers et les NFT. Le cabinet Morgan Stanley estime à 50 milliards de dollars le chiffre d’affaires supplémentaire lié d'ici à 2030 aux NFT et aux jeux pour la mode et le luxe.

A la croisée des enjeux liés à la responsabilité et l’innovation technologique, le potentiel lié aux technologies blockchain est également pris très au sérieux. Fait unique dans l’industrie du luxe, les géants LVMH, Prada et Cartier se sont ainsi rapprochés en 2021 pour donner naissance au projet Aura Blockchain. Objectif de la plateforme : garantir l’authenticité et la traçabilité des produits – bien réels – tout au long de leur cycle de vie. Et la technologie se révèle ainsi le moyen de répondre à ce qui pourrait s’affirmer comme l’une des principales attentes des consommateurs du luxe de demain : garantir une expérience responsable haut de gamme.

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