La Chine, un développement étroitement lié à sa démographie
La pression démographique est un des facteurs permettant d’appréhender les choix politiques et économiques de la Chine depuis trente ans.
Publié le 27 juillet 2018
L’influence de la politique de l’enfant unique
La population chinoise s’élève aujourd’hui à 1,3 milliard d’habitants, soit le cinquième de l’humanité. Cela a été une contrainte majeure dans le développement économique du pays, qui a ainsi privilégié les domaines consommateurs en main-d’œuvre peu qualifiée et surtout à coût salarial réduit. Le pays détient en outre un avantage considérable : 70 % de la population est d’âge actif (15-59 ans). Elle comprend donc une proportion exceptionnellement faible de personnes économiquement dépendantes (enfants et personnes âgées). La politique de l’enfant unique (politique publique de contrôle des naissances mise en œuvre par la Chine de 1979 à 2015) s’est traduit par une baisse sans précédent du taux de natalité (12 pour 1000 aujourd’hui en Chine – 11,4 en France selon l’estimation provisoire de l’INSEE, 10% pour l’Union Européenne à 28).
Cette règlementation a été assouplie depuis plusieurs années (surtout à partir de 2013), et, depuis le 1er janvier 2016, tous les couples sont autorisés à avoir deux enfants. Toutefois, il est loin d’être certain que sa suppression permettra le redressement des naissances. Ainsi, si le taux de natalité a cessé de baisser, il ne remonte pas vraiment.
Cette politique mise en place par Deng Xiaoping visait à l’amélioration concrète du niveau de vie. Celle-ci a été notable sur les trente dernières années : 500 millions de personnes ont été sorties de l’extrême pauvreté selon la Banque Mondiale. Le PIB par habitant (en parité de pouvoir d’achat) est passé de 677 $ en 1986 à 15 394 $ en 2016, selon le FMI. Cependant, selon les standards chinois de la pauvreté (soit 2 300 rmb de revenu net annuel par habitant dans les campagnes – à prix constant), 55 millions de personnes étaient encore dans une situation d’extrême pauvreté en 2015.
La nouvelle donne économique et sociale : un vieillissement très rapide
La baisse de la fécondité et l’allongement de la durée de la vie ne cessent de bouleverser la structure par âge de la population chinoise. Aussi les autorités commencent-elles à se soucier du vieillissement démographique, qui s’annonce extrêmement rapide. Dès 2050, la Chine comptera 220 millions de personnes d’âge actif de moins qu’aujourd’hui. Un déficit de main-d’œuvre se profile d’ores et déjà dans certains secteurs. Sans aller aussi loin, la population active commence à décroître d’une année sur l’autre depuis 2016. On relève aujourd’hui 5 actifs pour 1 retraité. D’ici 2040 ce rapport sera passé à 1,6 actif pour 1 retraité.
Selon les projections démographiques des Nations-Unies, la part des personnes âgées de 65 ans ou plus, qui était de 7 % en 2000, devrait plus que tripler d’ici 2050, pour atteindre 24 %, la Chine comptant alors 330 millions de personnes âgées. La Chine présente une autre caractéristique susceptible de fragiliser sa société : un déficit de femmes. C’est l’un des rares pays au monde à compter une majorité d’hommes : 104,9 hommes pour 100 femmes en 2010. La préférence de la société chinoise pour les fils est le produit d’un système patriarcal et du confucianisme, qui maintiennent les femmes en position secondaire dans la famille et la société. Les fils ont l’avantage de perpétuer la lignée familiale et le devoir de prendre en charge les parents dans leur vieillesse. De plus, les couples devant limiter strictement le nombre de leurs enfants, les filles deviennent indésirables du simple fait qu’elles privent les parents de la possibilité d’avoir un fils.
A l’évidence, la prise en charge des personnes âgées sera un problème très lourd à gérer pour les autorités chinoises car la famille constitue le seul système de « protection sociale » pour la majeure partie de la population pauvre. Au milieu des années 2000, seul un retraité sur quatre vivait de sa pension. Un autre quart continuait à vivre d’un revenu d’activité tandis que la moitié restante, elle, subsistait principalement grâce à un membre de la famille — souvent un enfant. Le modèle familial demeure, par certains côtés encouragé par les autorités. Une loi de 1996 oblige les enfants à subvenir aux besoins des parents. Mais le mode de vie, avec notamment des logements urbains de plus en plus chers, ne favorise pas cette entraide familiale. Les jeunes, pour trouver du travail, s’éloignent de leur région d’origine. La démographie particulière explique également le taux d’épargne très élevé de la nation (46 % du PIB en 2016, pour un niveau mondial de 26% selon le FMI). Il s’agit de prévoir l’avenir, en l’absence d’un système universel public de retraite.
La Chine : « vieille » avant d’être « riche »
Contrairement à ce que l’on a pu observer dans beaucoup d’autres pays, l’évolution démographique de la Chine s’est faite en parallèle avec le développement économique. Classiquement, la baisse tendancielle du taux de fécondité se fait après le décollage économique et les évolutions de société induites (comme au Japon ou en Corée du Sud). La contrainte politique très forte en Chine explique ce décalage. Même une fois cette contrainte levée ou allégée, le pli est pris par les familles, surtout pour celles qui vivent en ville, rattrapées par des priorités économiques peu compatibles avec la multiplication du nombre d’enfants. La Chine est encore loin d’atteindre le niveau de richesse des grands pays développés. L’une des mesures que l’on peut retenir est la part des dépenses de santé dans le PIB, qui est très inférieure (5,6 % du PIB) à ce que l’on peut observer en France (11 % ) ou aux Etats-Unis (16,6 %, chiffres de 2014). L’Etat garde un rôle très faible dans le financement de ces dépenses avec un taux de couverture publique de 55,8% pour la Chine (en France il atteint 78,7 %, mais seulement 49,3 % aux Etats-Unis).
D’ici 2035, la population de plus de 60 ans sera égale à 30% du total de la population, comme ce que l’on observe dans les pays développés. Pour autant, le niveau de vie ne sera pas du même ordre, avec un PIB par habitant de l’ordre du cinquième de celui d’un pays développé. Tout l’enjeu pour les autorités est d’adapter le modèle économique chinois à cette contrainte démographique face aussi aux enjeux environnementaux. Cette contrainte démographique explique la nécessité absolue pour la Chine de passer d’un modèle de croissance reposant sur les exportations de biens à faible valeur ajoutée à une économie de services, de l’innovation, selon un modèle de croissance inclusive. Les déclarations officielles sont maintenant centrées sur la qualité de la croissance et non plus son ampleur, sa durabilité et surtout sa capacité à profiter à de larges couches de population. Jusque-là, le modèle chinois a contribué à creuser beaucoup d’inégalités, territoriales notamment, compensées seulement très partiellement par les transferts publics.
Le déséquilibre démographique pourrait aussi entraîner des tensions sociales car, contrairement au Japon, la société chinoise n’est pas homogène et une démographie plus importante des minorités peut être source de revendications de ces dernières. Plus âgée, la population va avoir des besoins de plus en plus grands en services, et les revendications risquent de s’accentuer.
La démographie est un déterminant majeur des choix d’orientation économique du pays et aura, nécessairement, des conséquences sur le reste du monde.
L’ensemble des objectifs en matière de croissance doit donc être décrypté à travers cette contrainte démographique. Le modèle de croissance basé sur la promotion des exportations de biens à faible valeur ajoutée a permis la première phase de développement. Mais les limites économiques, sociales et environnementales ont été atteintes au début du XXIème siècle. La transition vers une économie de services reposant sur la consommation est une nécessité, transition qui intègre la notion de développement durable.
C’est avec le XIème Plan (2006-2010) que les autorités placent au centre de la décision économique la satisfaction de la demande intérieure. Le développement du facteur humain est maintenant une priorité. Le réservoir de main-d’œuvre rurale massive est en train de se vider petit à petit. La hausse des salaires largement supérieure aux gains de productivité érode la compétitivité du pays. Il faut donc augmenter la productivité par renforcement des compétences humaines et les dépenses de recherche et développement. Tout ceci a un coût en termes de dépenses publiques alors même que le vieillissement rapide impose la mise en œuvre d’une vraie politique publique de retraite universelle pour le moment encore très insuffisante.
La volonté d’étendre l’influence politique et économique de la Chine au-delà des frontières (« One Belt, One Road ») peut également s’expliquer par le besoin de recourir à une main-d’œuvre plus large et à moindre coût, dans un pays où il n’y a pas de flux migratoires.
Rappelons que l’ensemble des mesures politiques et économiques qui sont prises par les autorités doivent concourir à la réalisation de diverses échéances officielles. Ainsi en 2021, premier centenaire de la création du parti communiste chinois, , la réalisation d’une « société de relative aisance » sera atteinte avec le doublement du PIB par habitant depuis 2010. En 2049, année du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine, « la société socialiste sera aboutie et forte ». La réalisation de ces objectifs va nécessiter de continuer de réformer le modèle économique chinois. Les premières années de transformation ont eu un impact non négligeable sur le reste du monde du fait de la taille de cette économie, qui pèse 18 % du PIB mondial et contribue à hauteur de un tiers à la croissance mondiale.
— Laetitia Baldeschi, Responsable Equipe Stratégie, CPRAM