Le Covid-19, un stimulus pour la transition énergétique en France ?
Depuis l’année 2015 et la loi LTECV1, la France a enclenché sa transition énergétique destinée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, à favoriser une croissance « verte » et durable ainsi qu’à renforcer l’indépendance énergétique du pays.
Publié le 04 juin 2020
Une transition énergétique déjà bien lancée
Dans le cadre de cette transition, les énergies renouvelables ont connu un développement considérable durant ces cinq dernières années. Ainsi, les capacités électriques installées relatives à l’éolien et au photovoltaïque ont l’une et l’autre bondi de plus de 50% depuis 2015. Cet essor a notamment été rendu possible via divers mécanismes de soutien tarifaire (contrats d’obligation d’achat, complément de rémunération et appels d’offres) visant à accroître la compétitivité économique des différentes filières de production d’électricité verte.
Une bonne résilience des énergies renouvelables suite à la crise sanitaire et un système électrique davantage impacté
Le secteur des énergies renouvelables a, dans l’ensemble, fait preuve d’une bonne résilience suite à la pandémie de Covid-19. Modérément impactées par la crise des cours de l’énergie, les énergies renouvelables bénéficient en effet le plus souvent de tarifs de rachat ou de contrats à long terme sécurisants sur une période allant de 15 à 20 ans. Les installations existantes ont continué de fonctionner tandis que les mises en service des nouveaux projets ont été pour leur part décalées. Pour atténuer les impacts, le ministère de la Transition écologique et solidaire a par ailleurs repoussé les dates limites de réponse aux prochains appels d’offres de plusieurs mois et des mesures d’accompagnement ont été mises en place en soutien des producteurs d’électricité verte.
Les effets ont été cependant plus importants sur le système électrique français. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE a pu constater, durant la période de confinement, une baisse de la consommation d’électricité pouvant aller jusqu’à -20% par rapport à celle habituellement relevée à cette période de l’année, principalement due au ralentissement et à la mise à l’arrêt de certains sites industriels, des commerces et des transports. L’appel des centrales sur le réseau se faisant par ordre de coût marginal croissant, les énergies renouvelables ont été utilisées ces derniers mois en priorité pour satisfaire la demande électrique. Leur part dans la production électrique totale a ponctuellement dépassé les 40%. Ceci a entraîné une forte baisse du prix de gros de l’électricité allant jusqu’à des prix négatifs sur le marché à court terme (spot) à certaines heures de la journée.
L’après-crise Covid-19 : opportunité ou menace ?
Le climat d’incertitude pesant sur la plupart des secteurs de l’économie n’épargne pas non plus les énergies renouvelables et le système électrique français dans sa globalité. L’après-Covid-19 se veut une période source de menaces mais également d’opportunités à saisir pour la transition énergétique future du pays. Des menaces qui concernent tout d’abord les futurs portefeuilles de centrales de grande taille dont les refinancements pourraient être freinés du fait d’un risque de remontée (toutefois modérée) des taux rendant certaines opérations moins intéressantes.
Des menaces qui affectent aussi le système électrique national. Bien que la demande électrique française ait remonté progressivement depuis le déconfinement du 11 mai dernier, la forte pénétration des énergies renouvelables enregistrée sur les réseaux électriques durant ces derniers mois invite à l’avenir à un réexamen complet de la robustesse et de la sécurisation des systèmes électriques. Dans un contexte de décarbonation enclenchée de l’économie, la part renouvelable dans la consommation totale d’énergie va progressivement augmenter et la nécessité de stocker des sources d’électricité fluctuantes et produites de manière décentralisée se fera de plus en plus sentir. Les systèmes électriques actuels ne sont pas totalement préparés à ces changements structurels et les modèles économiques accompagnant cette transformation profonde restent encore à bâtir.
En parallèle, des opportunités sont à saisir pour l’ensemble des acteurs du paysage énergétique français. La baisse récente du prix du pétrole, du charbon et du gaz naturel induite par le Covid-19 est susceptible à court terme de menacer le développement de la transition énergétique et des énergies renouvelables en France, cette diminution tendant à favoriser le recours aux sources fossiles. En réponse, il apparaît dès lors comme indispensable de mettre en place et de développer des modèles locaux et pérennes de gestion de l’énergie à l’échelle des territoires. La crise du Covid-19 a mis en évidence la nécessité d’une relocalisation des systèmes de production, ce qui pourrait accélérer la décentralisation du système énergétique national, en adéquation avec le développement des énergies renouvelables locales.
À ces fins, des mécanismes de soutien financier s’avèrent indispensables. L’instrument de relance post-Covid-19 tout récemment proposé par la Commission européenne et baptisé « Next Generation EU » englobe le Green Deal européen. Doté au total de 750 milliards d’euros, il vise notamment à accélérer le développement de la transition énergétique en Europe, la priorité étant donnée à moyen terme à la consolidation du développement de l’éolien et du photovoltaïque ainsi qu’au déploiement d’une économie de l’hydrogène propre. C’est donc en suivant le chemin d’un modèle énergétique intégré, inclusif et décentralisé et en accentuant les efforts de recherche et développement déjà entrepris, en particulier dans le domaine du stockage de l’énergie, que les inflexions et les opportunités de bascule vers un « monde d’après » décarboné, plus sobre et plus résilient verront le jour.
— David Balussou, Etudes Economiques du Crédit Agricole, Ingénieur Conseil Electricité Energies renouvelables
1. Loi sur la transition énergétique et pour la croissance verte