Deeptech : c’est la juste heure d'écrire ces sciences profondes
Comme notre titre, tiré du prologue de Gargantua l’affirme, nous choisissons le cœur de l’été pour escrire sur les « technologies profondes » afin de proposer une définition de la deeptech, en nous aidant des travaux de Bpifrance.
Publié le 06 août 2021
Si le mot synonyme de disruption ou de rupture et contraction de « deep technology » n’est pas encore sur toutes les lèvres, il est de plus en plus utilisé, au point qu’on en oublie que sa définition n’est pas très claire.
Voici la nôtre : une technologie deeptech est une technologie non-numérique issue de travaux de la recherche fondamentale. Elle a des applications industrielles variées qui ont le potentiel de provoquer une rupture sur un ou plusieurs marchés existants ou d’en créer un nouveau, sans nécessairement bouleverser la société. Ces applications sont développées par des start-up elles-mêmes très singulières. Explications.
Sans science, pas de deeptech
Une technologie deeptech est indissociable de l’idée de « rupture », ce qui a pour corollaire évident un lien fort avec la recherche, en particulier fondamentale. Cette recherche, menée parfois pendant des décennies et avec des financements majoritairement publics, est la plus à même de permettre la production et le développement d’idées – et par suite, de technologies – suffisamment originales pour provoquer les ruptures tant espérées.
Une deeptech ne saurait être (seulement) numérique
Bien que cela puisse paraître contre-intuitif, un corollaire de cette idée de rupture est qu’une technologie deeptech ne saurait être numérique. À moins d’un algorithme ou d’un système numérique au fonctionnement et à l’efficacité fondamentalement différents, les technologies numériques, même de pointes (technologies high-tech), reposent en effet sur des technologies déjà existantes.
De la deeptech naît un monde de possibilités portées par des start-up
Si chaque technologie deeptech offre de nombreuses perspectives de développement, c’est sur la start-up, vecteur de la mise sur le marché de la technologie sortie du laboratoire, que repose le choix du marché de destination. Ce choix dépendra du background des porteurs et des tendances des marchés.
Dans le contexte actuel de relance, de réindustrialisation, d’industrie 4.0 et de lutte contre le changement climatique, les applications « industrielles » nous paraissent de loin les plus intéressantes à retenir. Cela dit, les applications d’une deeptech n’ont pas toujours le potentiel d’affecter l’ensemble de la société ou de l’humanité. La disruption ou la création d’un ou plusieurs marchés, fussent-ils de niche, suffisent.
Une start-up deeptech propose donc un produit basé sur une ou plusieurs technologies deeptechs combinées à des briques technologiques plus « classiques », y compris numériques. Elle se crée avec pour objectif de propulser ces combinaisons sur un marché. Mais ce simple fait suffit-il à qualifier cette start-up de deeptech ? Probablement pas, d’autres questions se posent : l’équipe fondatrice ou dirigeante est-elle fortement scientifique ? Le produit proposé présente-t-il des barrières à l’entrée intellectuelles et techniques ? Quel est son état de maturité ? Quels sont les coûts envisagés pour son développement ? Et enfin, bouleversera-t-il son marché ?
Sans équipe scientifique, pas de start-up deeptech
Le fait que la technologie ait été développée en laboratoire a deux conséquences. D’abord, l’équipe fondatrice est composée en majorité de scientifiques de haut niveau, ayant travaillé sur la technologie. La part de scientifiques pourra diminuer dans le temps, laissant place à des profils plus commerciaux pour certains postes, mais la majorité des salariés, du management au board préservera le bagage scientifique de la start-up sur la durée.
Un produit peu mature, mais bien protégé…
La deuxième conséquence est qu’à leur sortie des laboratoires, les technologies deeptech sont dans des états de maturité très différents, affectant leur temps de mise sur le marché, temps qui pourra être assez court, si la technologie est bien maîtrisée.
En tout cas, il est clair que le produit développé n’échappe pas aux besoins de protection intellectuelle. En plus de cette protection, il présente aux éventuels concurrents des barrières à l’entrée de deux autres types : une barrière « intellectuelle », qui vient de l’expérience accumulée par les fondateurs durant leurs travaux académiques sur la technologie et une barrière « technique », liée aux moyens développés autour de la technologie pendant cette phase académique.
… au développement coûteux, mais pas forcément long
Le développement du produit s’annonce dès la création comme capitalistique et, nous l’avons vu, possiblementlong. L’aspect capitalistique peut venir du faible état de maturité de la technologie, de la nécessité d’une phase d’industrialisation, avec la mise en place d’équipements non-standards, mais également de freins réglementaires. En effet, les réglementations existantes dans un pays donné peuvent être inadaptées au nouveau contexte créé par la technologie. L’extension internationale oblige aussi à se plier à de nouvelles réglementations, dont certaines peuvent être mises en place pour bloquer ou préempter le développement de la technologie.
Bien que très prometteur, le marché d’une start-up deeptech ne va finalement pas de soi. La rupture apportée doit être désirée par son marché de destination et être acceptée par la société. Ces deux acceptations qui dépendent du fameux momentum couplé à un travail de pédagogie autour de la technologie peuvent être très soudaines.
Pour s’en convaincre définitivement, on peut se demander si, sans la pandémie mondiale qui nous frappe depuis 2020, les vaccins à ARN messager auraient-ils été développés et commercialisés aussi vite et aussi fort à une échelle planétaire ?
— Frédéric JEHL, Analyste deeptech, Direction des Études Économiques Groupe Crédit Agricole