La transition climatique passe aussi par une transition technologique
L’industrie, les transports, le bâtiment et l’agriculture consomment directement ou indirectement (via l’électricité) des énergies fossiles et émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre (GES) qui sont responsables du réchauffement climatique.
Publié le 16 mai 2024
Pour parvenir à réduire les émissions globalement, il faut donc soit les éviter en changeant de technologies, soit les capter pour les stocker durablement dans le sol ou les recycler chimiquement. Le besoin de déployer de nouvelles technologies en faveur de la transition climatique est donc bien réel. De plus, le changement climatique avec la hausse des températures moyennes, accompagnée de catastrophes naturelles plus fréquentes et plus intenses, nous obligent aussi à nous adapter.
Comment éviter les émissions de gaz à effet de serre ?
Pour éviter une grande partie des émissions de gaz à effet de serre, il est indispensable de réduire la dépendance des secteurs les plus émetteurs aux énergies fossiles en déployant de nouvelles technologies.
La principale solution consiste à produire davantage d’électricité à partir d’énergies renouvelables (hydroélectrique, solaire, éolien, …) ou nucléaires (EPR, SMR, MSR). Toutefois, les énergies renouvelables étant intermittentes, il est aussi nécessaire de développer des technologies de stockage de l’électricité (batteries, hydrogène, sels fondus, …). Enfin, il sera nécessaire de développer et gérer le réseau électrique pour l’adapter à cette évolution sur terre (Iberdrola) comme sur mer (Prysmian).
D’autre part, il sera indispensable d’adapter les processus industriels fortement émetteurs. Dans la sidérurgie, par exemple, on utilise déjà des fours électriques pour recycler de la ferraille et on pourra bientôt éviter d’utiliser du charbon sidérurgique grâce à de nouvelles technologies comme la réduction directe du minerai de fer avec de l’hydrogène : c’est la décision prise par toute la sidérurgie en Allemagne avec le soutien de 7 milliards d’euros de l’État approuvé par la Commission européenne. Pour mettre en œuvre cette décision, les sidérurgistes emploieront de grandes quantités d’hydrogène propre obtenu principalement par électrolyse de l’eau : ThyssenKrupp et SHS viennent de lancer 2 appels d’offres historiques (environ 200 000 tonnes par an). Autre exemple avec l’industrie chimique qui commence aussi à décarboner la production d’ammoniac, d’engrais (Yara) ou de méthanol (OCI Global, Oersted) à partir d’hydrogène propre.
Si l’on regarde du côté des transports légers, les moteurs thermiques sont progressivement remplacés par des moteurs électriques associés à des batteries. Ces moteurs électriques dépendent, comme les turbines éoliennes, d’aimants permanents produits principalement en Chine à partir de terres rares. Du côté des transports lourds, le consensus et la réglementation s’orientent vers l’utilisation progressive de carburants durables parfois fabriqués à partir d’hydrogène propre (kérosène propre pour les avions, méthanol ou ammoniac propre pour les navires).
Qu’en est-il pour le chauffage de bâtiments ? Nous pourrons privilégier des technologies géothermiques dans les villes ou des pompes à chaleurs thermodynamiques chez les particuliers pour améliorer l’efficacité de leur consommation d’électricité.
Enfin, l’agriculture et la gestion des déchets demeurent encore de gros enjeux pour les émissions de méthane, GES très nocif sur 20 ans.
Les États accompagnent souvent les entreprises dans ces changements. Les aides sont massives en Chine notamment pour les véhicules électriques. Les États-Unis ont réagi avec l’Inflation Reduction Act (IRA) en 2022 et l’Europe avec le Net Zero Industry Act (NZIA) qui sélectionne notamment les technologies stratégiques. En Europe, la disparition progressive des quotas carbone gratuits pour les activités très émettrices ainsi que la taxe carbone aux frontières va aussi favoriser la transition.
Cependant, le déploiement de ces technologies est très hétérogène : très rapide pour les modules solaires ou les batteries de véhicules électriques (avec l’offre chinoise) et beaucoup moins rapide qu’annoncé pour l’hydrogène notamment à cause des retards ou de l’insuffisance des financements publics.
Comment gérer les émissions de gaz à effet de serre ?
Il n’est pas toujours possible d’éviter aujourd’hui les émissions de certains processus industriels, il faut donc apprendre à les gérer.
Des dizaines de cimentiers européens comme Heidelberg Materials se sont lancés dans des projets de capture, de transport et de stockage de leur CO2 en Europe et aux États-Unis. Des projets analogues sont aussi en développement près des sites de production d’hydrogène ou d’ammoniac à partir de gaz naturel (Exxon au Texas ou au Pays-Bas); ces projets sont en concurrence avec ceux issus de l’électrolyse de l’eau sur les deux critères clé : prix et émissions de carbone. Ils nécessitent des technologies de capture sur les sites industriels et des techniques de stockage géologique souvent au fond des mers.
Certains industriels se lancent aussi dans des projets de recyclage de CO2 capturé pour produire de l’e-méthanol (Oersted, Siemens Energy) ou du méthanol durable issu de la biomasse (OCI global) afin de décarboner le transport maritime. Récemment, 8 industriels ont même lancé une coalition pour recycler le CO2 en gaz naturel synthétique afin de pouvoir conserver toute l’infrastructure gazière mondiale actuelle.
En plus des procédés de capture de CO2 sur les sites industriels, de nombreuses initiatives ont été lancées pour capter le CO2 directement dans l’air (Carbfix en Islande) ou directement dans l’océan (Equatic).
Enfin, les déclarations ne suffisant pas, des projets ont été lancés par des entreprises, des états, des ONG pour surveiller les émissions de GES. De nombreuses observations par satellites ont révélé des fuites massives de méthane notamment sur des sites d’explorations pétrolières et gazières. Récemment, le satellite MethaneSat a été placé sur orbite et va bientôt diffuser via Google des données gratuites et précises sur les émissions de méthane. Les États-Unis ont même prévu de sanctionner les fuites de méthane du secteur Oil and Gas dès cette année (900 dollars la tonne).
Comment s’adapter au changement climatique ?
Nos émissions gigantesques accumulées depuis des dizaines d’années produisent déjà leurs effets comme anticipés par les scientifiques : hausse de la température de l’air et des océans, fonte des glaces, accélération de la hausse du niveau de la mer, augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles, … Les efforts de réduction des GES doivent se poursuivre mais ils s’accompagneront inévitablement d’actions d’adaptation au changement climatique. Ainsi, les sécheresses de plus en plus fréquentes accélèrent la demande de dessalement d’eau de mer qui associe souvent des technologies d’osmoses inverses et d’énergies renouvelables. Ces sécheresses ont même déjà eu un impact sur le transport fluvial (Rhin, Mississipi) et le transport maritime (canal de Panama). Ces sécheresses ainsi que la nécessité de protéger la biodiversité conduisent aussi au développement du recyclage des eaux usées.
En complément, Google propose des technologies d’intelligence artificielle pour prévoir des inondations dans plus de 80 pays comme l’Inde. D’autres entreprises offrent des solutions analogues pour détecter les incendies forestiers de manière précoce.
Toutefois, pour bien s’adapter au changement, il est aussi nécessaire de mieux le comprendre. La recherche scientifique dans ce domaine est donc vitale notamment pour se préparer aux futurs points de bascule.
Quel est l’enjeu des investissements technologiques ?
En 2023, plus de 1700 milliards de dollars ont été investis globalement dans les technologies en faveur de la transition climatique (source : Bloomberg NEF au 30 janvier 2024), ce qui a déjà permis de fortement réduire la croissance des émissions GES en 2023 (source : IEA au 1er mars 2024). De plus, ces technologies vont contribuer à rendre plus crédibles les plans de transition climatique des entreprises de plus en plus souvent exigés par les investisseurs (obligation pour le label ISR France des fonds en 2026). Toutefois, ces investissements sont encore très inégalement répartis selon les pays et les secteurs.