Souveraineté européenne
La défense : au cœur de l’autonomie stratégique européenne
Ces dernières années, l’Europe a placé son autonomie stratégique au centre de ses préoccupations avec des enjeux majeurs comme la transition énergétique, le numérique, la sécurisation des chaînes de production … dans le contexte actuel, marqué notamment par la guerre en Ukraine et le repositionnement stratégique des États-Unis, l’Europe est contrainte de renforcer son indépendance militaire après des décennies de réduction de ses investissements dans la défense.
Publié le 01 juillet 2025

Un tournant a été amorcé ces dernières années par de nombreux Etats-membres puis plus récemment au niveau européen avec le plan Re-arm Europe. Ce programme lancé début 2025 a pour objectif d’augmenter les dépenses pour combler un déficit d’investissement en défense estimé à 1 800 milliards1 d’euros depuis la fin de la guerre froide, et permettre, à terme, à l’Europe de garantir sa sécurité sans dépendre des États-Unis.
Rearm Europe : un financement à la hauteur des ambitions
Depuis la crise du Covid, l’Europe a adopté une stratégie d’autonomie stratégique « ouverte », autour de plusieurs initiatives en faveur du développement de secteurs industriels clés par la mise en plate d’alliances dans des domaines innovants comme les batteries, l’hydrogène ou encore les médicaments essentiels. Mais le soutien financier restait modeste comparé à ce que peuvent faire les États-Unis ou la Chine.
Principaux plans industriels européens et montants alloués

Le plan Rearm Europe change la donne et rivalise en termes de montant avec le plan de relance post-Covid avec ses 800 milliards d’euros, soit environ 6 % du PIB européen. Il vise en plus à faire de l’augmentation des investissements en défense une norme durable. Autre mesure inédite : la Commission européenne propose aussi d’assouplir les règles budgétaires pour faciliter ces dépenses2.
La révolution budgétaire allemande, moteur des plans européens
En février 2025, après deux décennies de stratégie prudente, l’Allemagne a adopté un important plan budgétaire pour accroître significativement ses dépenses de défense et ses investissements publics, notamment dans les infrastructures.
Tout d’abord, une nouvelle règle budgétaire exclut désormais les dépenses de défense au-delà de 1 % du PIB du plafond d’endettement, incluant cybersécurité, renseignement et aide à l’Ukraine. Enfin, l’Allemagne va également mettre en place un fonds d’infrastructures de 500 milliards d’euros, soit 11, 26% de son PIB de 2024, pour financer éducation, transports, décarbonation, logement et résilience économique.
Avec une dette stable autour de 60 % du PIB, ce plan pourrait augmenter les dépenses publiques de 2 % du PIB en moyenne, stimulant la croissance allemande et européenne.
D’autres pays vont suivre cette dynamique. L’Espagne a d’ores et déjà indiqué augmenter son budget de défense pour atteindre l’objectif de 2% du PIB fixé par l’OTAN alors qu’elle en était très éloignée.
Un quasi-doublement des dépenses militaires européennes à l’horizon
L’OTAN devrait fixer fin juin 2025 un nouvel objectif de dépenses militaires : 3,5 % du PIB pour la défense « core » et 1,5 % pour la sécurité élargie d’ici 2030. Pour l’Europe, cela représenterait 900 milliards d’euros supplémentaires, dont 270 milliards pour l’Allemagne.
Le secteur européen de la défense bénéficie d’une forte visibilité en bourse, car les investissements européens massifs devraient favoriser en partie l’industrie locale. Pour répondre à la demande, il faudra augmenter rapidement les capacités de production, notamment dans les équipements terrestres et les munitions. Des joint-ventures européennes se développent pour mutualiser les technologies et réaliser des économies d’échelle, à l’image de la coentreprise entre Rheinmetall (Allemagne) et Leonardo (Italie) pour la fabrication de chars.
La conséquence de cette dynamique :
Les actions des entreprises européennes du secteur de la défense ont surpassé les performances du marché européen en 2024, tendance qui s’est poursuivie début 2025. Nous pensons que cette tendance pourrait persister dans la mesure où le mécanisme européen de prêts SAFE, doté de 150 milliards d’euros, prévoit qu’au moins 65 % des dépenses seront consacrées à des produits européens. Face à une demande en forte croissance, cette industrie se trouve au défi d’augmenter rapidement ses capacités de production.
Pour favoriser une standardisation inévitable, plusieurs acteurs européens créent des joint-ventures afin de mutualiser technologies et réaliser des économies d’échelle. Par exemple, Rheinmetall (Allemagne) et Leonardo (Italie) ont lancé une coentreprise à parts égales pour construire des chars, répondant à une commande italienne de blindés estimée entre 20 et 25 milliards d’euros. Les chars « Panther » et véhicules « Lynx » de Rheinmetall serviront de base. Cette joint-venture vise aussi à faciliter les exportations vers d’autres pays partenaires. Selon Armin Papperger, CEO de Rheinmetall, cette initiative marque un premier pas vers une consolidation du secteur européen de la défense.
Développer l’électricité comme levier de souveraineté et de décarbonation
L’électrification est essentielle pour décarboner l’économie européenne et réduire la dépendance aux énergies fossiles importées. Elle concerne l’industrie mais aussi les transports et implique l’accroissement de la production électrique qui doit également intégrer le développement les data centers. Elle nécessite la modernisation des réseaux électriques, souvent vieillissants. En Espagne, par exemple, des investissements massifs sont prévus pour moderniser les infrastructures électriques, face à une demande en forte croissance.
Le marché européen des data centers, estimé à 13 000 MW en 2024, devrait croître de 50 % d’ici 2029, porté par le développement de l’intelligence artificielle. L’Espagne ambitionne de devenir un hub digital majeur grâce à ses atouts géographiques, énergétiques et technologiques.
La souveraineté numérique en progression
Le Chips Act de 2023 vise à doubler la part de marché européenne dans la production de semi-conducteurs d’ici 2030. La part est passée de moins de 10 % en 2023 à 13 % en 2025, mais l’objectif de 20 % reste difficile à atteindre. L’Europe peine à attirer les fabricants de puces avancées et à renforcer toute la chaîne de valeur, ce qui pousse à réclamer un Chips Act 2.0 avec un focus renforcé sur la R&D.
L’intelligence artificielle est le second pilier de la stratégie numérique européenne. En réponse au programme américain Stargate, l’UE a lancé en 2025 le plan InvestAI, mobilisant 200 milliards d’euros pour soutenir start-ups, industries et recherche, avec 20 milliards dédiés aux Gigafactories d’IA, un secteur dominé par la Chine et les États-Unis.
Conclusion
Le défi de l’autonomie stratégique européenne sera surement de répondre à l’ensemble de ces enjeux tout en préservant l’unité et les valeurs de l’Union. Une des clés pour relever ce défi réside dans la capacité de l'Europe à transformer rapidement ses plans industriels en réalisations concrètes. La mobilisation de plusieurs grands pays avec des budgets conséquents et des échéances rapides dans la défense, le digital et les infrastructures laisse espérer une accélération du rythme européen, essentielle pour dynamiser la croissance, préserver l’emploi et réussir la transition climatique.
1. Datastream et Eurostat au 31/12/2024
2. Possibilité d’activer la clause de sauvegarde pour les dépenses militaires au cours des 4 prochaines années dans la limite de 1,5% du PIB