Non, il ne faut pas abandonner les politiques net zero
Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis est disruptif à plus d’un titre, et c’est particulièrement le cas pour les politiques climatiques : Trump a déjà entrepris de démanteler un certain nombre de régulations environnementales et climatiques et pour la deuxième fois, les États-Unis sont sortis de l’Accord de Paris.
Publié le 10 mars 2025

Le 5 février, le nouveau secrétaire à l’Énergie, Chris Wright, a dévoilé la feuille de route de la politique énergétique de la nouvelle institution, intitulée « Libérer l’âge d’or de la domination énergétique américaine ».
Son point n°1 dit : « Une grande attention a été accordée à la recherche d’un futur net zero. Les politiques net zero augmentent les coûts de l’énergie pour les familles et les entreprises américaines, menacent la fiabilité de notre système énergétique et compromettent notre sécurité énergétique et nationale. Elles n’ont également pas eu beaucoup d’effets sur la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre. »
L’idée ici est que les politiques de décarbonation de l’économie ne seraient pas une priorité, qu’elles auraient coûté aux ménages et qu’elles mettraient en péril la sécurité nationale.
Cette façon de discréditer les « politiques net zero » amène à plusieurs remarques :
— Même si les « politiques net zero » sont critiquées par la nouvelle administration Trump, il s’agit probablement ici davantage de marquer une rupture fracassante avec l’administration précédente, en essayant de discréditer les politiques de cette dernière, quel que soit le sujet. D’ailleurs, la critique des « politiques net zero » est particulièrement floue et peu précise : on ne sait pas si les critiques portent sur les énergies renouvelables, sur les véhicules électriques ou sur d’autres technologies.
— Les « politiques net zero » sont indispensables à long terme pour lutter contre le changement climatique. En effet, 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première affichant un réchauffement global supérieur à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle et cela confirme l’accélération du rythme de réchauffement, qui est environ deux fois plus rapide depuis 2010 que sur la période 1970-2009. Le constat scientifique est que la décarbonation de l’économie est absolument nécessaire pour contenir le réchauffement de la planète. Dans son dernier rapport, le GIEC estimait que sans accélération des efforts de décarbonation, le réchauffement serait vraisemblablement de 2,2 à 3,5°C d’ici 2100 et que le fait de retarder ces efforts entraînerait un réchauffement supplémentaire.
— Sous-entendre que les « politiques net zero » ne sont pas efficientes sur le plan économique se heurte à plusieurs constats. Dans un État très républicain comme le Texas, la production d’électricité via les renouvelables augmente régulièrement depuis une quinzaine d’années (l’éolien et le solaire représentaient environ 30% de la production d’électricité de cet État en 2024) et notamment pendant le premier mandat de Donald Trump : cela s’explique très vraisemblablement par la forte baisse des coûts des renouvelables et des solutions de stockage. Il y a quelques mois, Elon Musk lui-même affirmait qu’il était évident que « presque toute la production d’électricité sera solaire un jour. Par ailleurs, un document de travail du FMI1 a montré que les prix de l’électricité sur les marchés de gros étaient plus faibles et moins volatils dans les pays ayant une part de renouvelables plus importante. »
— La hausse des prix de l’énergie sur les dernières années a surtout trouvé son origine dans d’autres causes que les « politiques net zero ». Comme nous le montrons dans l’encadré ci-après, la hausse du prix de l’énergie sur les 5 dernières années est surtout provenue de causes n’ayant rien à voir avec la décarbonation (invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, coupes de production des pays de l’OPEP+, vigueur de l’économie américaine lors de la réouverture post-covid). Au contraire, freiner le développement des énergies renouvelables peut faire monter les prix de l’électricité par exemple.
— Abandonner la décarbonation de l’économie exposera davantage les États-Unis au risque de catastrophes climatiques. Les récents feux catastrophiques à Los Angeles sont le dernier exemple des dégâts que peut engendrer le changement climatique sur le territoire américain. Sur l’ensemble des deux années 2023 et 2024, il y a eu 56 catastrophes climatiques ayant causé plus d’un milliard de dollars de dégâts (pour un montant agrégé de 278 Mds$). De par le poids de son économie et de ses émissions de gaz à effet de serre, un éventuel abandon des politiques de décarbonation aggraverait significativement la situation climatique et cela… augmenterait la fréquence et la sévérité des événements climatiques touchant les États-Unis. Cela coûterait cher aux ménages américains puisqu’un nombre grandissant de risques ne peuvent plus être couverts par les assureurs.
Pour ces différentes raisons, nous pensons que les critiques des « politiques net zero » ne sont pas justifiées. Au contraire, chez CPRAM, nous pensons que le changement climatique s’impose à tous et qu’il y a urgence pour toutes les parties prenantes d’agir dans leur sphère d’influence. En tant que société de gestion, la prise en compte des enjeux climatiques fait partie de notre devoir fiduciaire.
CPRAM a lancé sa première stratégie climat en 2018 et a progressivement développé une gamme complète de solutions « transition » adaptées à chaque profil de risque et besoins d’investissement : actions monde ou zone euro, obligataire, diversifié. Nous continuerons de financer et d’encourager les entreprises alignées ou souhaitant s’aligner sur une trajectoire net zero.
La hausse des prix de l’énergie aux états-unis
et ce que Trump peut faire (ou pas)
Est-ce que les prix de l’énergie payés par les Américains ont augmenté et pourquoi ?
Oui. Les prix de l’énergie payés par les Américains (essence, gaz et électricité) sont aujourd’hui 28% plus élevés qu’avant la crise covid. Ils avaient fortement baissé en 2020 avec les diverses mesures de confinement, qui ont fait s’écrouler la demande.
— A partir de 2021, le prix du pétrole (le produit énergétique le plus consommé par les Américains reste l’essence) est fortement reparti à la hausse sous le double effet des mesures de réouverture de l’économie et des coupes massives de production des pays de l’OPEP+ : à la fin de l’année 2021, le prix du pétrole était à peu près sur ses niveaux de 2018. Par ailleurs, la fermeture de raffineries pendant la crise covid a induit une pression haussière un peu plus forte sur l’essence que sur le pétrole (goulet d’étranglement). Il est fortement parti à la hausse à partir de l’invasion de l’Ukraine en février 2022 car les sanctions occidentales ont conduit un grand nombre de pays à diversifier leurs approvisionnements. A partir de 2022, l’administration Biden a essayé de jouer à la baisse sur les prix en mettant une grande quantité des stocks stratégiques de pétrole sur le marché.
— Le cas du gaz naturel, et par ricochet celui de l’électricité, a globalement suivi les mêmes tendances, la principale différence étant que des tensions sur l’approvisionnement global sont apparues dès 2021 lorsque la Russie a réduit ses livraisons à l’Allemagne. Dans ce cadre, il faut mentionner le fait que les États-Unis sont devenus exportateurs net de gaz naturel à partir de 2017 et ont donc été davantage sensibilisés aux variations de prix globales.
— Les chocs majeurs sur les prix de l’énergie sont d’abord les chocs majeurs sur le prix du pétrole or, en première approximation, ce sont surtout la force de l’économie américaine, les baisses de production des pays de l’OPEP+ et la guerre en Ukraine qui ont joué à la hausse sur les prix du pétrole.

Donald Trump peut-il faire baisser les prix de l’énergie ?
C’est l’une de ses promesses de campagne mais cela s’annonce plus difficile à faire qu’à dire :
— Le secrétaire du Trésor, Scott Bessent, a expliqué que l’objectif était d’augmenter la production de pétrole brut de 3 millions de barils/jour alors que la production américaine est déjà la plus importante du monde (vers 13,5 millions de barils/jour), ce qui ferait baisser les prix. L’idée ici est qu’une hausse de la production provoquerait une baisse des prix à la pompe. Cela peut s’annoncer compliqué à mettre en œuvre car une enquête de la Fed de Dallas de mars 2024 a montré que le seuil de rentabilité de nouveaux puits était compris entre 60 et 70 $ pour un baril de WTI or le cours de ce dernier tournait autour de 70 $ mi-février 2025.
— On Day One, Donald Trump a pris un executive order interdisant tout nouveau projet éolien offshore sur les côtes américaines et mettant en pause pour 60 jours tout nouveau projet ou renouvellement de permis pour les éoliennes onshore ou offshore. Alors que la demande d’électricité a augmenté ces dernières années, le fait de se priver de la croissance de l’éolien, qui est passé de 6% de la production d’électricité en 2017 à 10% en 2024, risque de faire monter les prix de l’électricité.


1. « Chasing the sun and catching the wind: energy transition and electricity prices in Europe”, IMF working paper n°22/220.