Défis environnementaux

La gouvernance mondiale pour la préservation de la biodiversité

Alors que la COP 16 va s’ouvrir en Colombie (21 octobre-1er novembre), il est intéressant de revenir sur le mode de gouvernance des accords mondiaux sur la biodiversité et de voir comment ces derniers se transposent dans les stratégies nationales. Ce texte abordera également les principales avancées des précédentes COP biodiversité et les principaux objectifs de la COP 16.

Publié le 21 octobre 2024

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Juliette Cohen
Stratégiste - CPRAM

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L’organisation des COP « biodiversité »

Les Conference of Parties (COP) « biodiversité » découlent d’un accord international, la Convention sur la diversité biologique (CDB), adopté en 1992 au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. La CDB compte 196 parties, dont l'Union européenne, mais pas les États-Unis, seul grand pays non signataire de la convention.

Cet accord vise trois grands objectifs :
— la conservation des écosystèmes et de la diversité biologique,
— l’utilisation durable des composantes de la biodiversité,
— le partage juste et équitable des bénéfices tirés de l’utilisation des ressources génétiques.

Les COP biodiversité ont lieu tous les deux ans et visent à mettre en œuvre la CDB en examinant les progrès accomplis et en définissant les priorités et les plans de travail pour les années qui viennent.

L’article 6 de la Convention demande aux parties de prendre des mesures nationales pour atteindre les objectifs fixés. Ce sont les stratégies et plans d’actions nationaux pour la biodiversité (SPANB) qui sont l’équivalent des CDN (contributions décidées au niveau national) pour le climat même si les SPANB ne sont pas obligatoires à la différence des CDN. Ils constituent ainsi les principaux instruments d’application de la Convention et actuellement 90 % des parties en ont définis.

Deux COP biodiversité ont été particulièrement marquantes :

La COP biodiversité 10 de Nagoya de 2010

Elle a conduit à l’adoption du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 dont la philosophie était de « vivre en harmonie avec la nature » en valorisant, conservant et restaurant la biodiversité. Celui-ci comprenait 20 objectifs, « les objectifs d’Aichi » parmi lesquels la prise en compte de la diversité biologique dans les politiques publiques et la conservation d’au moins 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières d’ici 2020.

Si la nécessité de mobiliser des ressources financières pour la mise en oeuvre effective du Plan stratégique 2011-2020 constitue l’un des objectifs d’Aichi, celui-ci n’était pas quantifié.

Les pays étaient invités à transposer les objectifs d’Aichi dans leurs stratégies nationales d’ici 2015. Or, la plupart d’entre eux ne l’ont fait qu’à partir de 2016, ce qui explique que la plupart des objectifs d’Aichi n’ont été que partiellement ou pas du tout atteints.

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La COP biodiversité 15 de Kunming-Montréal en 2022

La COP 15 a travaillé à partir du « Rapport d’évaluation mondial sur la biodiversité et les services écosystémiques » publié par l’IPBES1 en 2019 et qui constitue pour la biodiversité, l’équivalent des rapports du GIEC sur le climat.

Celui-ci a notamment réalisé une évaluation des progrès faits pour les 20 objectifs d’Aichi définis en 2010 : pour 4 d’entre eux, des progrès satisfaisants ont été réalisés ; pour 7 des progrès ont été réalisés dans certains composantes ; et pour 6, les progrès ont été jugés insuffisants pour toutes les composantes. Enfin, pour 3 objectifs le manque de données n’a pas permis de mesurer l’état d’avancement des actions mises en oeuvre.

Par ailleurs, le rapport estime que sur 16 indicateurs permettant d’évaluer l’état de la nature, 12 ont montré une poursuite de sa dégradation pendant cette décennie.

La COP 15 a fixé les objectifs de la décennie 2020-2030 en adoptant le Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 (Global Biodiversity Framework ou GBF) et pour cela a été qualifiée de COP historique et de pendant de la COP 21 pour le climat.

Sa mesure phare est l’objectif 30x30, c’est-à-dire arriver à la protection d’au moins 30 % des terres, des eaux douces et des océans de la planète d'ici à 2030. En 2024, ce sont 17,5 % des terres et 8,5% des aires marines qui sont protégées.

Cette COP a été également marquée par ses cibles d’engagements financiers : mobiliser 200 Mds $ par an pour protéger la biodiversité, aider les pays en développement à hauteur de 25 Mds $ par an d’ici 2025 puis 30 Mds $ par an d’ici 2030 et enfin réduire de 500 Mds $ par an les subventions néfastes à la biodiversité.

Une étude2 du programme environnement des Nations Unies (PNUE) de décembre 2023 estimait que les flux financiers néfastes à la nature atteignaient près de 7 000 Mds $ annuels, dont 5 000 Mds $ en provenance d’agents privés et 1 700 Mds $ de subventions publiques.

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Quelle a été la transposition des engagements de la COP 15 ?

    L’accord de la COP15 prévoyait que les Parties soumettent des SPANB révisés et alignés sur les objectifs et les cibles 2030 du Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal d’ici la COP 16 ou à défaut de SPANB complets de définir a minima des objectifs nationaux. Elle préconisait de construire les SPBAN en incluant l’ensemble des acteurs gouvernementaux et de la société.

    Depuis la COP 15, seuls 203 sur les 196 signataires ont soumis des stratégies et plans d’action nationaux pour la diversité biologique à horizon 2030. Parmi eux, sept pays européens (Autriche, Italie, Irlande, France, Luxembourg, Hongrie et Espagne) ainsi que l’Union européenne en tant que membre et signataire des COP biodiversité, ont publié la leur. La Chine, le Canada et le Japon l’ont également fait. A cela s’ajoutent 47 pays qui ont publié des cibles nationales à défaut de SPANB.

      Quelles sont les principales mesures comprises dans les SPANB les plus récentes ?

        • L’Europe : La stratégie Biodiversité à horizon 2030 pour l’Europe a été initiée en 2020 et proposait les grands principes que l’Union européenne souhaitait soutenir à la COP de Kunming-Montréal. Elle a été ensuite complétée et officiellement soumise à la Convention pour la diversité biologique en novembre 2023.
          Plusieurs mesures mentionnées ont été adoptées dans le cadre du Pacte vert, notamment celles ayant trait aux zones protégées, à la restauration de la nature, à la lutte et l’adaptation climatique ou à l’agriculture durable. L’UE ainsi que l’Irlande et le Luxembourg, ont pour objectif l’arrêt puis l’inversion de la perte de pollinisateurs.
          ​​​​​​​Cependant, certaines mesures comme celles relatives à l’usage des pesticides n’ont été que partiellement adoptées au niveau européen car les règlements sur les pesticides (REACH) et la stratégie de la Ferme à la fourchette ont fait l’objet de fortes réticences de la part des industriels et des agriculteurs.
        • Le Japon : Le Japon a soumis sa stratégie nationale biodiversité en juillet 2023. Dans sa feuille de route pour atteindre la cible 30x30, le Japon a pour objectif d’accroitre progressivement la surface et le nombre de zones protégées ainsi que d’améliorer leur gestion. En 2021, 20,5% des terres et 13,3% des zones maritimes étaient protégées. A fin mars 2023, plus de 400 entités - que ce soit des associations, des gouvernements locaux ou des entreprises - s’étaient engagées de façon volontaire pour contribuer à l’atteinte de cette cible.
          Parmi les principaux engagements du pays, la stratégie pour des systèmes alimentaires durables prévoit la réduction de l’utilisation des pesticides chimiques de 10% et des engrais chimiques de 20% d’ici 2030 ainsi que le doublement des surfaces consacrées à l’agriculture biologique.
          ​​​​​​​Le Japon s’est également engagé sur le volet financier pour accroitre le soutien aux pays en développement et pour éliminer progressivement ou réformer les subventions néfastes de manière juste.
        • La Chine : La Chine a publié sa stratégie et son plan d’action de protection de la biodiversité 2023- 2030 en janvier 2024. Conformément à l’objectif 30/30, elle entend protéger 30% du territoire, des eaux intérieures et des aires maritimes d’ici 2030.
          Elle a défini un Plan directeur des grands projets de protection et de restauration des écosystèmes importants (2021-2035) : 30 % des écosystèmes dégradés seront restaurés. La superficie des réserves naturelles représentera environ 18 % de la superficie terrestre à horizon 2030 et devra dépasser 18 % d’ici 2035. Elle prévoit de réduire l’usage des pesticides mais sans y associer un objectif chiffré.
          Les plans de développement y compris au niveau local devront intégrer les objectifs de conservation de la biodiversité d’ici 2030. Les entreprises seront tenues de communiquer des données sur l’impact de leurs activités sur la biodiversité et un indice d’impact biodiversité des entreprises sera créé.
          ​​​​​​​La Chine entend créer un Fonds pour la biodiversité qui soutiendra la conservation de la biodiversité dans les pays en développement. Enfin, la Chine est, avec le Canada, le seul pays à mentionner l’objectif d’inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 dans leurs SPANB.

        Le positionnement singulier des Etats-Unis

        Il s’agit du seul pays membre des Nations unies à ne pas avoir ratifié la Convention sur la diversité biologique (CDB). A l’époque, le sénat américain n’avait pas voulu que les États-Unis ratifient le traité au motif qu’il aurait pu générer des engagements financiers importants. Il n’y a donc pas de stratégie nationale pour la diversité biologique, ce que regrettent certains scientifiques américains.

        Cependant, les Etats-Unis ont participé aux négociations des COP biodiversité avec le statut d’observateurs et sont assez actifs sur le sujet. Depuis les années 1970, de nombreux textes de lois et visant à protéger la biodiversité ont ainsi été adoptés. Un des textes fondateurs date de 1973 et vise à protéger les espèces en danger (Endangered Species Act (ESA)).

        Depuis, beaucoup d’engagements des COP ont été repris dans des stratégies sectorielles :

        — Les États-Unis se sont engagés en 2021 à protéger 30 % des terres et des eaux d’ici 2030 en débloquant 1 Mds $ de financement via un partenariat public- privé (America the Beautiful).

        — En 2022, ils ont renforcé leur protection des forêts et ont adopté une stratégie nationale pour la protection de l’Arctique.

        — Les États-Unis ont rejoint la coalition pour la protection des océans et ont doté l’Ocean Conservation Pledge de 2,6 Mds $ dans ce but.

        — Les programmes internationaux de l’USAID sont dotés de plusieurs centaines de millions de $ annuels et prévoient des financements de projets de conservations de la biodiversité à l’international.

        Par ailleurs, les États-Unis sont membres de l’IPBES depuis sa création en 2012.

        Quel agenda pour la COP 16 ?

        Parmi les principaux objectifs de la COP 16 figure l’évaluation de la mise en oeuvre des engagements de la COP15 et leur intégration dans les stratégies nationales. Ce point est particulièrement important alors que nous ne sommes plus qu’à 6 ans de l’échéance de 2030 et qu’il s’agit d’éviter le sort des objectifs d’Aichi, trop tardivement adoptés dans les politiques nationales et donc partiellement atteints.

        Pour renforcer la mise en oeuvre du GBF, la COP 16 devra adopter les modalités du processus d'examen mondial qui devrait débuter en 2025 et se terminer à la COP 17 en 2026 et continuer de mobiliser les signataires pour qu’ils s’engagent sur des objectifs nationaux.

        Les points qui feront l’objet d’une attention particulière comprennent la mobilisation des ressources en faveur de la biodiversité, le cadre opérationnel de l’accord, la concrétisation du mécanisme de partage juste et équitable des bénéfices liés à l’utilisation des ressources génétiques. Ce dernier point constitue un enjeu important pour les pays en voie de développement.

        La convention accorde une large place à l’évaluation de l’état de la biodiversité dans ses différentes composantes. Enfin, l’amélioration de la recherche et de la coopération scientifique ainsi que la sensibilisation du public à la thématique de la biodiversité font également partie des grands enjeux de cette future COP.

        1. IPBES : Plateforme intergouvernementale scientifique sur la biodiversité et les services écosystémiques. L’IPBES est un organisme intergouvernemental indépendant comprenant plus de 130 États membres.
        2. Situation des financements pour la nature 2023, 9 décembre 2023.
        3. Au 23 septembre 2024.

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