Révolutions technologiques

DeepSeek : les géants de la tech US sont-il en danger ?

Depuis deux ans, l’Intelligence Artificielle (IA) s’affirme comme le principal moteur des marchés financiers, propulsant Nvidia et les autres géants du secteur vers des sommets en Bourse. Mais même les tendances les plus puissantes traversent des phases de turbulences.

Publié le 20 février 2025

deepseek

Guillaume Uettwiller
Gérant Actions Thématiques - CPRAM

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L’été dernier, un rapport de Sequoia Capital1 semait le doute sur la viabilité des investissements massifs faites dans l’infrastructure IA et leur rentabilité, entrainant une première correction. Il y a trois mois encore, les sceptiques pointaient du doigt la fin de l’ère des rendements exponentiels liés à l’augmentation de la taille des modèles d’IA.

La promesse d’une amélioration systématique des performances grâce à des modèles toujours plus vastes était remise en question, et avec elle, les investissements dans les GPU2. Depuis, les chercheurs ont trouvé de nouvelles lois d’échelle, notamment dotant les modèles de capacité de raisonnement, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives d’innovation.

Bis repetita, le 27 janvier 2025

Nvidia, redevenue l’entreprise la mieux valorisée du monde, subissait un effondrement historique, perdant 593 milliards de dollars de capitalisation en une seule séance, un plongeon plus important que la valeur totale de Mastercard et équivalent à l’effacement de Coca-Cola, Disney et Nike réunis. Il s’agissait de la pire journée de l’histoire pour une action cotée.

Une fois encore, ce séisme ne résultait pas d’une remise en cause fondamentale du modèle économique de Nvidia, mais d’un brutal changement de récit, alimenté par la découverte de DeepSeek, une start-up chinoise d’IA dont les avancées ont déclenché une onde de choc sur les réseaux sociaux et dans la presse financière.

Ses nouveaux modèles, DeepSeek-V3 et R1, semblaient être en mesure de rivaliser avec les systèmes les plus sophistiqués développés par les géants américains, mais à un coût nettement inférieur. Les gros titres n’ont pas tardé à prophétiser la fin de l’âge d’or de l’IA, questionnant encore la pertinence des investissements massifs du secteur.

Se pose alors une question centrale

    La baisse des coûts d’inférence va-t-elle freiner l'appétit d'investissement du secteur ?

    L’histoire économique suggère le contraire à travers le paradoxe de Jevons. Cette théorie, mise en lumière au XIXe siècle, se révèle contre-intuitive : l'optimisation d'une ressource – et donc la baisse de son coût - stimule sa consommation plutôt que de la réduire. Les transistors, par exemple, sont devenus infiniment moins chers au cours des cinquante dernières années, mais la demande mondiale en puissance de calcul a explosé. Il en va de même pour l’IA : la baisse des coûts d’inférence ouvre la porte à de nouvelles applications, ce qui devrait accélérer son adoption au lieu de la freiner.

    C’est précisément sur ce pari que misent les géants du numérique. Loin de céder aux doutes passagers des marchés, les leaders de l'IA redoublent d'audace dans leurs investissements. Meta propulse ses projections de dépenses de 52 à 62 milliards de dollars, Google franchit la barre des 75 milliards, tandis qu'Amazon s'apprête à injecter plus de 100 milliards de dollars en 2025 pour démultiplier les capacités d'AWS.

    Pour réussir cette métamorphose, l'UE devra maintenir le cap sur ses investissements stratégiques tout en préservant l'unité de ses États membres – un équilibre délicat mais nécessaire pour assurer sa place dans le concert des nations.

    Pendant ce temps, la rivalité technologique entre les États-Unis et la Chine franchit un nouveau cap.

    Donald Trump a dévoilé le projet Stargate, une initiative colossale orchestrée par Oracle, OpenAI et SoftBank, visant à construire des centres de données de nouvelle génération pour alimenter les futurs modèles d’IA. Avec un budget estimé entre 100 et 500 milliards de dollars, il s’agit de l’un des plus ambitieux projets d’infrastructure de l’histoire de la tech.

    Pékin n’a pas tardé à réagir : la Banque de Chine a annoncé un plan d’investissement de 140 milliards de dollars, ce qui confirme que la bataille pour la suprématie en IA ne fait que s’intensifier.

      Ces engagements massifs témoignent d’une conviction profonde quant à l’évolution future de l’IA

        Trois grandes vagues se sont déjà succédées :

        • L’IA prédictive, qui a alimenté les systèmes de recommandation et la prévision financière ;
        • L’IA générative, qui a révolutionné la création de texte, d’images et de code.
        • Nous entrons à présent dans l’ère de l’IA agentique : des systèmes capables de raisonner, de planifier et d’exécuter des tâches de manière autonome.
        ia

        Mais l'horizon de l'IA s'étend bien au-delà du monde virtuel. À terme, elle s’étendra au monde physique. Véhicules autonomes, robotique industrielle et logistique optimisée par l’IA sont en ligne de mire, chacun nécessitant une puissance de calcul colossale pour traiter l’information en temps réel.

        La demande énergétique des futurs modèles d’IA est vertigineuse : un modèle de raisonnement avancé pourrait consommer jusqu'à 600 000 fois plus d'énergie que les tâches actuelles les plus simples.

        La volatilité des marchés de ces dernières semaines reflète l’instabilité naturelle d’un secteur en pleine mutation. Mais si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que ces inquiétudes, bien que légitimes à court terme, ne remettent pas en cause la trajectoire de long terme.

        Nous pensons que tout comme l'électricité et Internet avant elle, l'IA traverse sa phase de maturation, essuyant les critiques des sceptiques tout en poursuivant inexorablement sa progression.

        1. https://www.sequoiacap.com/article/ais-600b-question/
        2. GPU (Graphics Processing Unit) Unité de traitement graphique

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