Les nouvelles routes de la soie : quel impact à prévoir pour les produits agricoles et alimentaires ?
Les « nouvelles routes de la soie », aussi appelées Belt and Road Initiative (BRI), reposent sur une stratégie mise en place par les autorités chinoises sous l’impulsion du président Xi Jinping, relative aux réseaux de communications terrestres, maritimes, aériens et digitaux. Les observateurs s’interrogent sur une possible composante spécifique de leur rôle en matière d’économie agricole et alimentaire : est-ce une simple nécessité pour le pays le plus peuplé du Monde, ou bien s’agit-il d’une stratégie destinée à accroître la mainmise de la Chine sur l’économie agroalimentaire mondiale ?
Publié le 16 octobre 2022
Ce système associe notamment des infrastructures terrestres et maritimes destinées à fluidifier et accélérer la circulation des biens, des personnes et des services au fil de ces routes : ports, échangeurs routiers ou ferroviaires, ressources énergétiques, industrielles et numériques. Lancée en 2013 par Xi Jinping lui-même, la « Belt and Road Initiative » (BRI) concerne l’ensemble du continent Eurasien, mais aussi l’Est de l’Afrique où la présence chinoise est déjà particulièrement forte.
Cette stratégie est particulièrement bien reçue dans les petits pays, qui voient l’impact sur la richesse produite et la démographie. En réalité, ces pays sont stratégiquement bien positionnés sur les axes définis par la BRI et les autorités chinoises s’assurent que la coopération financière reste majoritairement tenue par la Chine. Certains pays, notamment en Afrique, ont d’ailleurs vu leur endettement auprès des banques chinoises croître récemment à un rythme préoccupant.
Raccourcir les temps de transport et en réduire les coûts
Les nouvelles routes de la soie ont bien entendu pour objectif de faciliter le transport de tous types de marchandises depuis, ou vers la Chine. Raccourcir les temps de transport permet d’en réduire les coûts. Circulent désormais régulièrement des trains de marchandises entre l’Est de la Chine et l’Europe qui mettent moins de trois semaines, contre plus du double en bateau.
Les routes terrestres, en particulier pour le transport ferroviaire, permettent de développer un mode de transport à mi-chemin entre le transport maritime, à forte capacité mais lent et bon marché, et le transport aérien, rapide et cher.
La Chine a de plus en plus besoin de matières premières
Cette stratégie aux multiples composantes est évidemment aussi destinée aux produits agricoles et agroalimentaires. En 40 ans, la Chine s’est créé des besoins bien au-delà de sa capacité de production. La population a doublé depuis le début des années 1960. L’industrialisation accélérée de cette usine mondiale qu’est devenue la Chine a généré un gigantesque exode de la population rurale vers les nouvelles mégalopoles chinoises. Grâce au développement économique du pays, une classe moyenne au pouvoir d’achat accru s’est développée, avec une plus forte demande de consommation au spectre de plus en plus large.
Force est donc de constater que la Chine a de plus en plus besoin de matières premières, notamment pour les produits agricoles et alimentaires. Avec une Surface Agricole Utile (S.A.U.) de 15 % de sa superficie totale, la Chine doit nourrir 22 % de la population mondiale. Même si elle a largement multiplié sa production de céréales, de coton, d’oléagineux, de sucre, de viande ou de fruits en 50 ans, on estime qu’elle n’est pas autosuffisante. Elle exporte peu et les volumes importés restent relativement limités, ce qui laisse penser que les autorités chinoises veulent garder le contrôle des volumes d’importation, indépendamment du besoin réel des populations, au risque de l’apparition de pénuries.
La Chine devra longtemps trouver ailleurs une partie de sa ressource alimentaire
La Chine ne pourra jamais être autosuffisante en denrées alimentaires, de même qu’elle reste tributaire des importations pour une grande partie de ses besoins énergétiques (pétrole et gaz). La réponse des autorités chinoises est simple : préserver au maximum l’autosuffisance pour l’alimentation humaine directe (céréales, fruits et légumes, sucre) et ne pas chercher à tout prix l’autosuffisance pour l’alimentation des animaux. Ce qui explique les importations massives de céréales – blé, maïs, colza, soja – directement ou sous forme de tourteaux.
Et en plus de rendre la société plus sereine, la réduction des inégalités de revenus stimulerait assurément la croissance – soulignons d’ailleurs à ce sujet que le thème des inégalités est désormais inscrit au programme du Forum économique de Davos4. Plusieurs recherches de l’OCDE5 concluent ainsi que les réformes du marché du travail et des systèmes de prélèvements, ainsi que la mise en place d’une éducation de qualité auraient pour effet de doper le PIB et de réduire les inégalités de revenu. Un effort qui sera sans aucun doute d’autant plus perceptible qu’il fera l’objet d’une coordination au niveau international.
Avec la BRI, les produits alimentaires doivent tout autant contribuer à asseoir la présence et l’influence de la Chine auprès des autres pays qu’à conforter la sécurité alimentaire de la Chine. Mais elle pourrait paradoxalement prendre des positions commerciales à l’exportation, en particulier sur les produits à valeur ajoutée. Par exemple pour le lin et le bois : la France à elle seule produit plus de 70 % de la production mondiale de lin, mais la matière part en particulier en Chine qui est à l’origine de 80 % des produits textiles en lin ; la Chine importe depuis longtemps du bois rond industriel pour sa consommation propre, mais depuis plus de 15 ans figure parmi les principaux pays exportateurs de panneaux et d’éléments intermédiaires pour fabriquer les meubles.
La Chine souhaiterait rééquilibrer les coûts de transport entre les importations et les exportations
En développant et en fluidifiant les nouveaux axes de communication commerciale à travers les initiatives de la BRI, la Chine souhaiterait aussi rééquilibrer les coûts de transport entre les importations et les exportations. Autrement dit, elle voit d’un bon œil que le bon fonctionnement des « nouvelles routes de la soie » s’appuie sur un renforcement de son rôle d’usine du Monde…
A travers ces routes et les connexions qu’elle promeut et finance, la Chine ne semble s’interdire aucune manœuvre, qui lui permette de satisfaire sa demande intérieure, d’être présente sur les nouveaux marchés de l’alimentaire et finalement d’engranger des devises en misant sur la valeur ajoutée.
La Chine pourra devenir à terme un exportateur de produits alimentaires élaborés, sans doute d’abord vers les pays émergents d’Afrique ou d’Asie Centrale, à partir d’une matière première qu’elle ne pourra jamais produire entièrement toute seule, mais qui lui offrira de nouvelles opportunités de créer de la valeur.
Petite leçon d’histoire des routes de la soie
Les « routes de la soie » sont nées d’une mission diplomatique diligentée par l’empereur de Chine Wudi, de la dynastie Han (202 av. J.-C., 220 apr.), vers le royaume des Yuezhi en Bactriane (région située entre les États actuels d’Afghanistan, Tadjikistan et l’Ouzbékistan) pour organiser une alliance stratégique contre un ennemi commun. L’ambassadeur est revenu 13 ans plus tard, riche d’informations sur les pays traversés jusqu’alors inconnus des Chinois. D’autres missions ont suivi à la fois diplomatiques et commerciales, et un réseau d’itinéraires transcontinentaux s’est progressivement mis en place, allant de la Chine à la Méditerranée en passant par l’Asie centrale et l’Iran, complété par les routes maritimes. Ces routes tirent leur nom de la soie, car cette marchandise précieuse, dont la Chine a jalousement gardé le secret de fabrication jusqu’au Ve siècle, servait de monnaie dans les échanges commerciaux.
— Benoît Bousquet – Direction des Etudes Economiques Crédit Agricole SA