Changements démographiques et sociaux

Le vieillissement de la population mondiale déstabilise l'économie

On dit souvent que le vieillissement de la population mondiale sera l’un des grands sujets de demain. C’est vrai ! Mais le vieillissement de la population est déjà aussi un peu un phénomène d’hier. Cela peut se voir dans un grand nombre d’indicateurs : augmentation de l’âge médian ou moyen, baisse de la part des jeunes dans la population, hausse de la part des plus âgés, etc. 

Publié le 10 juin 2024

cpram

Bastien Drut,
Responsable des Études et de la Stratégie - CPRAM

LinkedIn
Twitter
Facebook
Email
Lien

Prenons l’âge médian, c’est-à-dire l’âge qui délimite la moitié la plus jeune de la population de celle qui est la plus âgée. Au niveau mondial, l’âge médian est passé d’environ 20 ans en 1970 à 30 ans en 2020. L’âge médian a augmenté sur tous les continents sur la période, à l’exception notable de l’Afrique où il est resté à 18 ans. En Europe, l’âge médian est passé de 30 ans en 1960 à un peu plus de 42 ans en 2020. Parmi les grandes économies, on peut souligner que le Japon est l’une de celles où le vieillissement est le plus avancé (âge médian de 48 ans en 2021) ou encore que la Chine est déjà plus vieille que les Etats-Unis. 

cpram
cpram

Le vieillissement de population est la résultante de deux phénomènes : la baisse du taux de fécondité (moins de jeunes) et l’allongement de la durée de la vie (plus de personnes âgées) :

  • Depuis la Seconde guerre mondiale, les femmes ont eu de moins en moins d’enfants : passant de 5 enfants par femme au niveau mondial en moyenne en 1960 à 2,3 en 2021. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette baisse du taux de fécondité comme la plus grande opportunité de faire des études pour les femmes, la forte diminution de la mortalité infantile sur la période ou encore l’accès à la contraception.  Dans certains pays, on assiste même à un effondrement des naissances : en Corée du sud par exemple, le nombre d’enfants par femme est même passé en dessous de 1 à la fin des années 2010 (0,72 en 2023).
  • L’espérance de vie a fortement augmenté tout au long du 20ème siècle. Prenons l’exemple de la France : alors qu’on pouvait espérer vivre 45 ans lorsque l’on naissait en 1900, on pouvait espérer vivre 66 ans lorsque l’on naissait en 1950 et près de 83 ans lorsque l’on naissait en 2021. Les centenaires sont par exemple beaucoup moins rares qu’auparavant.

Ce double phénomène d’allongement de la durée de la vie et de la baisse du nombre de naissances dans les pays riches et en Chine déforme la pyramide des âges. C’est particulièrement impressionnant en Europe, avec le déferlement de la vague « Baby-boom » (accélération des naissances entre 1946 et 1964), qui a eu 60 ans à partir de la fin de la décennie 2000.
​​​​​​​Alors qu’il y avait dans l’Union européenne 123 millions de personnes de moins de 20 ans et 53 millions de personnes de « 65 ans et plus » en 1980, ces deux classes d’âge étaient quasiment équivalentes en 2020 (à environ 90 millions de personnes chacune). D’après les projections des Nations Unies, près de 27% de la population aura plus de 65 ans en 2050 en Europe et en Amérique du nord.

cpram

Quelles conséquences pour l’économie ? 

    Le fait que la population vieillisse dans les pays riches et en Chine a naturellement des conséquences importantes pour l’économie car la population la plus jeune, la population en âge de travailler et la population plus âgée ont une relation différente à la consommation, l’investissement et l’épargne. La plupart des systèmes économiques et sociaux ont été construits avec l’hypothèse de la répartition par classe d’âge de l’époque prévaudrait pour toujours or cela n’est clairement pas le cas et cela peut donc mener à un certain nombre de déséquilibres. 

      Une pression de plus en plus forte sur les finances publiques 

        Considérons tout d’abord le ratio du nombre de personnes en âge de travailler (15-64 ans) sur celui des personnes de plus de 65 ans (c’est ce que l’on appelle le taux de dépendance vieillesse) : celui-ci s’est effondré dans les pays riches sur les dernières décennies. Dans le cas de l’Union européenne, il est passé de 7,7 en 1950 à 3 en 2021 et il devrait converger vers 1,8 en 2050 (selon la projection médiane des Nations unies).

        Le nombre d’actifs par retraité est donc en très forte baisse, ce qui va de plus en plus mettre sous pression le système de retraite par répartition (dans lequel les cotisations des actifs servent au paiement des pensions de retraite). Dans les pays où les cotisations ne suffisent plus au versement des pensions de retraite, l’Etat peut prendre en charge le financement manquant. Cela va constituer un poids important pour les finances publiques1. De plus, les dépenses de santé vont mécaniquement augmenter avec l’augmentation du nombre de personnes âgées (au passage, l’un des défis du vieillissement sera de trouver suffisamment de soignants : une première alerte a eu lieu dans le sillage de la crise covid avec les pénuries de main d’œuvre constatées dans les hôpitaux par exemple).

        Globalement, le vieillissement de la population va lourdement peser sur les finances publiques.  Un document de travail de l’OCDE publié à la fin de l’année 2022 indiquait que les dépenses de santé publique, de soins de longue durée et de retraite publique allaient augmenter de 5 points de PIB entre 2021 et 2060 pour les pays de l’OCDE (projection médiane), avec des disparités importantes entre les pays. 

          Un impact sur les taux d’intérêt via l’évolution de l’épargne 

            Le vieillissement de la population a également des conséquences sur l’épargne. Selon la théorie du cycle de vie développée par le prix Nobel Franco Modigliani2, les jeunes actifs s’endettent (pour acheter un logement par exemple), les actifs épargnent pour leurs vieux jours et les retraités désépargnent en liquidant leurs actifs par la suite. En conséquence, le fait qu’une part plus importante de la population d’un pays donné épargne directement en prévision de la retraite (typiquement la population âgée de 45 à 64 ans) augmenterait l’épargne agrégée, ce qui induirait une pression à la baisse sur les taux d’intérêt.

            La recherche empirique parvient globalement à la conclusion que le vieillissement de la population a fait baisser les taux d’intérêt au cours des dernières décennies3. A contrario, le fait qu’une cohorte importante de la population dépasse les 65 ans et se mette à désépargner est censé faire remonter les taux d’intérêt. Le timing précis est particulièrement difficile à évaluer car les comportements d’épargne peuvent ne pas se conformer à ces prédictions théoriques.

            De plus, il convient de rappeler qu’un grand nombre d’autres facteurs peut influer sur les taux d’intérêt (problèmes d’approvisionnement, crise énergétique, etc). 

              Un marché du travail totalement bouleversé 

                Avec l’allongement de la durée de la vie, les débats sur l’organisation du travail deviennent de plus en plus récurrents, qu’il s’agisse de l’âge de la retraite, du partage du temps de travail, de la possibilité de se former ou reconvertir en cours de carrière. Ces questions sont particulièrement délicates à traiter notamment de la grande diversité de situations : alors que des personnes ayant exercé des professions intellectuelles peuvent souhaiter travailler plus longtemps, ce n’est pas nécessairement le cas de personnes ayant exercé des métiers physiques ou pénibles.  

                Par ailleurs, un élément à prendre en compte est que l’augmentation de l’espérance de vie ne se traduit pas toujours par une augmentation de « l’espérance de vie en bonne santé ». La déformation de la pyramide des âges implique que la population en âge de travailler baisse dans un certain nombre de pays (Europe, Japon, Chine), ce qui va possiblement occasionner des pénuries de main d’œuvre. 

                  Des phénomènes démographiques désormais inflationnistes ? 

                    L’une des grandes questions relatives au vieillissement est de savoir s’il sera inflationniste ou non. Sur ce point, il peut être tentant d’extrapoler ce qui s’est passé au Japon, le pays le plus avancé dans le phénomène de vieillissement et qui a connu une inflation trop faible sur les trois dernières décennies. Cependant, le cas du Japon est très particulier pour deux raisons : 1) l’éclatement de la bulle financière des années 1980 pendant au moins deux décennies, qui a détérioré le bilan des acteurs privés et plombé l’activité économique et 2) la montée plus rapide que dans les autres pays développés du taux de participation des femmes (car le point de départ était plus bas), qui a provoqué un choc d’offre de travail, par nature déflationniste. Il est donc peu probable que la démographie soit le facteur qui ait le plus joué sur l’inflation dans le cas du Japon. 

                      En réalité, il est probable que le vieillissement de la population contribue à une inflation structurellement plus élevée à l’avenir. C’est notamment la thèse défendue Charles Goodhart et Manoj Pradhan dans leur livre The Great Demographic Reversal, qui a suscité de nombreux débats chez les banquiers centraux. Il n’existe pas de théorie économique formalisant explicitement un lien entre démographie et inflation. En revanche, une étude empirique très complète sur les liens entre la structure des classes d’âge dans la population et l’inflation a été réalisée par Mikael Juselius de la Banque de Finlande et Elod Takats de la Banque des Règlements Internationaux4. Les deux chercheurs ont étudié 22 pays sur une très longue période (1870-2016), au cours de laquelle ces différents pays ont connu des cycles démographiques qui leur sont propres.

                      Cette étude se distingue des précédentes, qui ne se focalisaient que sur la période d’après-guerre. Pour chaque pays, les chercheurs ont suivi l’évolution de la part dans la population totale de 17 classes d’âge : les 0 à 4 ans, les 5 à 9 ans, les 10 à 14 ans … les 75 à 79 ans et les plus de 80 ans. Les auteurs ont ensuite regardé l’impact sur l’inflation de la structure de la population par classe d’âge en contrôlant un certain nombre de variables économiques comme les taux d’intérêt réels, les agrégats monétaires, la dette publique ou encore la déviation du PIB par rapport à son potentiel. La principale conclusion de ces travaux est que toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de la part de la population dépendante (personnes trop jeunes ou trop âgées pour travailler) est associée à une inflation plus élevée alors qu’une augmentation de la part de la population en âge de travailler est associée à une inflation plus faible.

                      Toutefois, les auteurs notent que la part de la population de plus de 80 ans a un effet très négatif sur l’inflation. Sur la base de leurs résultats et de l’évolution anticipée de la pyramide des âges, Juselius et Takats font l’hypothèse que les évolutions démographiques joueront à la hausse sur l’inflation sur la période 2010-2050 pour l’ensemble des pays développés alors qu’elles ont plutôt joué négativement sur la période 1980-2010. En effet, la part des personnes ayant entre 60 et 80 ans dans la population va augmenter fortement, ce qui devrait tendre à faire monter l’inflation. Cela devrait être le cas pour les Etats-Unis et pour l’Europe.

                        1. FMI, 2019, “Macroeconomics of aging and policy implications”.
                        2. Modigliani F., 1966, “The Life Cycle Hypothesis of Saving, the Demand for Wealth and the Supply of Capital”, Social Research.
                        3. BCE, 2019, « Demographics and the natural real interest rate: historical and projected paths for the euro area”, ECB working paper N°2258.
                        ​​​​​​​4. Juselius M. et E. Takats, 2021, « Inflation and demography though time », Journal of Economic Dynamics and Control, vol. 128. 

                          Découvrez également