Make Europe Great Again : un défi stratégique pour l’Union européenne

L’Europe, longtemps considérée comme un modèle de stabilité et de prospérité, semble vaciller sous le poids de transformations mondiales. Les crises successives – économiques, sanitaires, énergétiques et géopolitiques – ont mis en lumière les fragilités structurelles du « Vieux Continent ». La pandémie de Covid-19 a notamment révélé la dépendance critique de l’Union européenne (UE) à des chaînes d’approvisionnement mondialisées, particulièrement dans un secteur stratégique comme la santé. Parallèlement, la guerre en Ukraine a brutalement rappelé l’importance d’une indépendance énergétique et d’une défense commune face aux menaces extérieures.

Ces défis, loin de condamner l’Europe à un déclin inexorable, lui offrent l’opportunité historique de redéfinir son rôle sur la scène internationale. Forte de ses atouts technologiques, de son marché unique et de son leadership en matière de standards environnementaux, l’UE dispose de tous les leviers nécessaires pour se réinventer et affirmer sa souveraineté.

Comment l’Europe peut-elle relever ce défi d’envergure ? Cette transformation exigera des choix audacieux : reconstruire une base industrielle robuste, accélérer la transition énergétique et convertir ses vulnérabilités en avantages compétitifs. L’enjeu est double : répondre aux attentes des citoyens de ses États membres tout en pesant sur les grandes orientations du monde de demain.

Les fragilités européennes comme moteur de transformation

La position économique de l'Europe s'est progressivement érodée au fil des dernières décennies : sa part dans le PIB mondial est passée de plus de 30% en 2004¹ à environ 14,8% en 2021². Cette tendance s'accompagne de dépendances critiques importantes :

• en terres rares, dont 98% proviennent de Chine³ ;
  
• en semi-conducteurs, dont la capacité mondiale de production est détenue en large majorité par Taïwan et la Chine, et dans une moindre mesure par la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon⁴ ;
  
• tandis qu’une part croissante des principes actifs pharmaceutiques (API, pour Active Pharmaceutical Ingredient) est importée du voisin suisse, des États- Unis, de Singapour ou, là encore, de Chine…⁵
  
• La guerre en Ukraine a également mis en lumière la vulnérabilité énergétique de l'UE, qui importait 40% de son gaz de Russie avant le conflit, ainsi que 30% de son pétrole brut et de sa houille⁶.
  

La reconfiguration des chaînes d'approvisionnement mondiales ouvre néanmoins de nouvelles perspectives pour un territoire positionné stratégiquement entre l'Asie et les Amériques. La nécessité de réduire ces dépendances, de miser sur ses forces et de moderniser son économie offre à l’Union une occasion unique de redéfinir son rôle sur la scène mondiale.

En réindustrialisant son territoire, en investissant massivement dans des technologies de pointe et en diversifiant ses approvisionnements, l’Europe peut construire une souveraineté stratégique adaptée aux défis de notre siècle. Ce renouveau repose sur trois piliers essentiels : une résilience industrielle renforcée, une transition énergétique ambitieuse et une mobilisation stratégique de ses atouts technologiques.

Innovation verte : l'Europe affirme son leadership mondial

Le continent européen consolide sa position dominante dans les technologies vertes, démontrant sa capacité à transformer les défis environnementaux en opportunités économiques. 40% des brevets mondiaux dans les énergies renouvelables sont détenus par des entreprises européennes⁷. Entre 2017 et 2021, 27% des inventions mondiales à « haute valeur » dans les technologies propres ont été déposées par les 39 États membres de l'Office Européen des Brevets (OEB)⁸.

La Taxonomie européenne s'impose comme une véritable boussole de la finance durable qui pourrait renforcer la position de l'Europe dans ce domaine à l’avenir. En définissant des critères rigoureux pour les investissements verts, elle oriente les flux financiers vers la transition écologique⁹.

Une intégration financière au service de la compétitivité

L'Union des Marchés de Capitaux (UMC) constitue une avancée majeure vers une intégration financière plus profonde. Cette initiative vise à faciliter les investissements transfrontaliers, à diversifier les sources de financement pour les entreprises à travers les marchés de capitaux, et à renforcer la résilience du système financier européen. Dans ce cadre, l'UE met l’accent sur les PME, en améliorant leur accès aux financements grâce à des mesures telles que la simplification des règles pour lever des fonds sur les marchés¹⁰. Ces initiatives visent à mobiliser davantage d'investissements privés pour accompagner ces entreprises dans leur croissance et leur transition écologique et numérique.

Parallèlement, l'harmonisation fiscale, illustrée par l'accord historique sur l'impôt minimum mondial, démontre la capacité de l'Europe à lancer des réformes structurantes à l'échelle internationale. En décembre 2022, les États membres de l'UE ont adopté à l'unanimité une directive visant à garantir un taux d'imposition effectif minimum de 15 % pour les grandes entreprises multinationales, conformément au « Pilier 2 » de la réforme fiscale internationale de l'OCDE. Cette directive, entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2024, vise à limiter le « nivellement par le bas des taux d'imposition des sociétés » et à assurer une concurrence fiscale plus équitable au sein de l'Union¹¹.

Fort de ses 27 États membres, ses 23 millions d'entreprises et ses plus de 450 millions de consommateurs bénéficiant d'un pouvoir d'achat parmi les plus élevés au monde, le marché unique européen demeure l'un des plus attractifs à l'échelle internationale¹². Cette puissance économique, renforcée par un cadre réglementaire stable et prévisible, constitue un terrain propice à l'innovation et au développement technologique.

Des investissements massifs pour une souveraineté retrouvée

L'Europe déploie des investissements massifs pour renforcer sa souveraineté technologique et énergétique, illustrant une ambition renouvelée dans des secteurs stratégiques.

Semi-conducteurs : l'Europe muscle son jeu

Le European Chips Act, entré en vigueur le 21 septembre 2023, représente une initiative ambitieuse pour reconquérir l'autonomie dans le secteur stratégique des semi-conducteurs. Avec une enveloppe de 43 milliards d'euros d'investissements publics et privés, ce programme vise à quadrupler la production européenne d'ici à 2030¹³. Au-delà du financement direct, l'Europe investit 3,3 milliards d'euros supplémentaires pour la recherche et l’innovation, cherchant à développer la prochaine génération de puces électroniques. Cette stratégie globale combine le soutien à la R&D, la modernisation des infrastructures existantes et l’attraction de nouveaux investissements.

Énergies renouvelables : des projets pharaoniques

Dans le domaine énergétique, l'Europe accélère également. Le projet North Sea Wind Power Hub en est un exemple : la construction d'îles artificielles en mer du Nord permettra de déployer 300 GW de capacité éolienne offshore d'ici à 2050¹⁴. Par ailleurs, l'UE soutient des projets d'intérêt commun européen (IPCEI, pour Important Projects of Common European Interest) dans le domaine de l'hydrogène, visant notamment à renforcer la compétitivité industrielle tout en répondant aux défis environnementaux¹⁵. Ces initiatives s’inscrivent dans le plan NextGenerationEU qui, avec ses 750 milliards d'euros, représente un engagement sans précédent pour accélérer la transition verte et numérique.

L'initiative « Transitioning Industrial Clusters towards Net Zero » illustre encore la nouvelle approche européenne de la décarbonation industrielle. Dans le secteur sidérurgique, l'Europe développe, par exemple, des technologies de rupture pour une production d'acier bas-carbone, combinant innovation technologique et protection environnementale¹⁶.

L’Europe à l’aube d’une renaissance industrielle ?

La transformation du « Vieux Continent » est en marche, portée par des investissements sans précédent et une vision stratégique renouvelée. Les prochaines années seront décisives pour concrétiser ces ambitions et confirmer le retour de l'Europe comme puissance industrielle majeure du XXIe siècle. Pour réussir cette métamorphose, l'UE devra maintenir le cap sur ses investissements stratégiques tout en préservant l'unité de ses États membres – un équilibre délicat mais nécessaire pour assurer sa place dans le concert des nations.

1. https://legrandcontinent.eu/fr/2024/04/26/en-20-ans-la-part-de-lunion-dans-le-pib-mondial-a-presque-ete-divisee-par-deux/
2. Eurostat, Key figures on the EU in the world, 2023 edition
3. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/
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4. https://fr.statista.com/infographie/31917/repartition-capacite-mondiale-fabrication-avancee%25C2%25A0puces-electroniques-par-pays/
5. https://www.dcatvci.org/features/the-eu-s-api-supply-chain-under-focus/
6. https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/les-enjeux-geopolitiques-de-lapprovisionnement-energetique-de-lue/
7. https://www.taurillon.org/bilan-encourageant-pour-la-politique-energetique-de-l-ue?lang=fr
8. https://www.epo.org/fr/news-events/news/nouvelle-etude-oeb-bei-le-marche-unique-de-lue-est-un-catalyseur-essentiel-pour
9. https://www.wavestone.com/fr/insight/banques-et-finance-durable-union-europrenne-a-un-tournant/
10. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A52023DC0535
11. https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/12/12/international-taxation-council-reaches-agreement-on-a-minimum-level-
of-taxation-for-largest-corporations/
12. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/03/05/le-marche-unique-europeen-un-vecteur-d-integration-economique-et-commerciale
13. https://www.europeaneconomics.com/european-chips-act/
14. https://www.touteleurope.eu/environnement/energie-un-sommet-de-la-mer-du-nord-pour-developper-l-eolien-offshore/
15. https://ipcei-hydrogen.eu/
16. https://www.ifri.org/fr/notes/la-siderurgie-europeenne-se-prepare-pour-etre-la-pointe-de-la-decarbonation