Pollution plastique : le défi est mondial
« Chaque être humain absorbe en moyenne 5 grammes de plastique chaque semaine ». La conclusion récente de cette étude américaine a fait le tour de monde. On savait déjà que les mers et les océans regorgeaient de déchets plastiques, plus ou moins décomposés. Mais on ignorait que le plastique pouvait se fixer dans le corps humain. De quoi accélérer la prise de conscience mondiale de l’urgence du danger.
Publié le 01 octobre 2019
Pouvoirs publics, producteurs et consommateurs industriels, institutions financières, ONG environnementales : tout le monde cherche désormais la parade face à une situation qui apparaît de plus en plus incontrôlable. Il était temps !
Le monde est accro au plastique
Apparu au début du siècle dernier avec la Bakélite (1907) et la cellophane, le plastique a connu un succès fulgurant, particulièrement depuis les années 50. On se souvient des G.I. américains à la Libération, faisant découvrir aux Françaises les bas en nylon, découvert en 1937. Inventées en 1946, les boîtes Tupperware ont longtemps incarné le succès du plastique dans les cuisines des pays développés, jusqu’à ce que les premiers écologistes commencent à dénoncer les défauts d’un matériau longtemps symbole de modernité.
Léger, imperméable, hygiénique, malléable, solide, durable, économique et polyvalent, le plastique ne manque pas de qualités, ce qui en a fait le matériau idéal pour accompagner la croissance économique des pays. De fait, le plastique est partout aujourd’hui : dans nos cuisines, nos salles de bain, nos vêtements, nos appareils électriques… Une journaliste américaine a calculé ainsi que nous entrions en contact avec 200 objets en plastique chaque jour, plus que tous les autres matériaux réunis.
Comment éliminer les déchets ?
Mais le plastique a le défaut de ses qualités : il est imputrescible et ne se dégrade pas facilement. La montée des préoccupations environnementales et l’explosion du plastique à usage unique – désormais 40 % de la production mondiale -, plébiscité par les consommateurs, ont rendu incontournable la question de l’élimination définitive des déchets plastiques.
Source : Crédit Agricole
Depuis 1950, l’humanité a produit près de 10 milliards de tonnes de plastiques, dont seulement 12% ont été incinérés et 9% recyclés. Le reste a fini dans la nature. Au mieux dans des décharges dites « contrôlées », où les déchets sont souvent enfouis et plus ou moins isolés du sol, en tous cas dans les pays développés. Au pire dans des décharges sauvages, où ils se décomposent à l’air libre, en produisant du méthane, ou abandonnés en bonne partie dans la nature, où ils se dispersent au gré des vents, des pluies et des rivières.
De fait, les pratiques actuelles d’élimination des déchets plastiques ne sont pas satisfaisantes au regard de l’environnement. L’incinération est gourmande en énergie, principalement fossile, produit du CO2 et des polluants dans la fumée issue de la combustion. Certes, on sait désormais traiter ces résidus de l’incinération, par exemple en les utilisant dans les sous-couches des travaux routiers, en tout cas dans les pays développés. Mais on continue d’incinérer du PVC, qui libère de la dioxine. Ailleurs, c’est loin d’être le cas, notamment dans les pays émergents et intermédiaires où l’incinération n’est pas encadrée et rejette dans l’air des polluants hautement toxiques (dioxine, benzène…) à proximité des villes.
L’enfouissement en décharges ne présente pas non plus des garanties absolues de respect de l’environnement. La décomposition du plastique en microparticules, combinée à la libération d’acide venant par exemple de piles non recyclées, libère des substances hautement toxiques qui perturbent notre système endocrinien et provoqueraient des cancers.
Dans un rapport récent qui fait référence, le WWF a estimé à 37% la part des déchets plastiques mondiaux actuellement non gérés de façon écologique : non collectés, jetés dans la nature ou stockés dans des décharges non contrôlées. Une situation hautement préoccupante car 80% de ces déchets vont devenir des polluants pour les écosystèmes, notamment pour les océans. Selon le WWF, 80% de la pollution de mers proviendrait de sources terrestres.
Océans : la cote d’alerte
Les images poignantes des animaux marins étouffés et les chiffres vertigineux ont largement circulé dans la presse et les réseaux sociaux : les océans sont en train de devenir la poubelle du monde. La découverte en 1997 des fameux gyres, ces puissants courants marins où s’accumule le plastique en décomposition, formant des « continents de plastique » – le fameux 7e continent – a servi de révélateur. La superficie du plus grand, situé en Atlantique Nord, atteindrait six fois la France…
L’appel de la navigatrice Ellen McArthur à la tribune de Davos en 2015, annonçant que les océans contiendraient davantage de plastique que de poissons, si rien n’était fait d’ici 20 ans, a provoqué une réelle prise de conscience. Difficile pourtant de chiffrer l’étendue de cette pollution car on sait désormais que le plastique décomposé par le sel et le soleil finit en micro et nanoplastiques, invisibles à l’œil nu. Et c’est là que le pire se cache peut-être. Ils se fixent sur le plancton et crustacés, mollusques et poissons les absorbent. Le plastique se retrouve ainsi à l’origine de la chaîne alimentaire, finissant par contaminer l’alimentation humaine.
L’appel de la navigatrice Ellen McArthur à la tribune de Davos en 2015, annonçant que les océans contiendraient davantage de plastique que de poissons, si rien n’était fait d’ici 20 ans, a provoqué une réelle prise de conscience. Difficile pourtant de chiffrer l’étendue de cette pollution car on sait désormais que le plastique décomposé par le sel et le soleil finit en micro et nanoplastiques, invisibles à l’œil nu. Et c’est là que le pire se cache peut-être. Ils se fixent sur le plancton et crustacés, mollusques et poissons les absorbent. Le plastique se retrouve ainsi à l’origine de la chaîne alimentaire, finissant par contaminer l’alimentation humaine.
Plastique : les particules alimentaires
De fait, les études commencent depuis peu à montrer que l’homme ingère et respire à son insu une grande quantité de nanoparticules de plastique. Un adulte américain ingère et respire ainsi plus de 50 000 particules chaque année. Première source, l’eau, surtout en bouteilles, qui contient 20 fois plus de plastique que l’eau du robinet. Viennent ensuite les fruits de mer, la bière et le sel, sans parler des microplastiques dans l’air issus de l’abrasion des pneus…
Un véritable signal d’alarme pour l’opinion publique et les gouvernements, d’autant plus que les premières études commencent à révéler que ces particules pourraient rentrer dans les tissus et les cellules humaines, contrairement à ce qu’on a longtemps cru. On commence à peine à étudier ce risque mais les premières conclusions ne présagent rien de bon. Par exemple, les microparticules plastiques omniprésentes dans nos vêtements et nos cosmétiques sont dispersées à chaque lavage et finissent dans les eaux usées, où elles sont quasi-impossibles à traiter, avec des conséquences à peine étudiées.
La menace invisible
De quoi donner le frisson et représenter une menace pour l’humanité tout entière, avec des effets à long terme sur le métabolisme, les cancers et les malformations certains et difficiles à chiffrer. D’autant plus que le plastique, aussi bien gros déchets que nanoparticules, se révèle un excellent vecteur de transport des bactéries, dans le corps comme dans les océans.
La menace sur la biodiversité et les écosystèmes aquatiques est bien réelle. Non seulement des espèces invasives circulent plus facilement d’un continent à l’autre grâce au plastique mais celui-ci fixe également des micro-organismes pathogènes dangereux pour l’homme et la faune. Le risque est bien là, avec ses conséquences environnementales, sanitaires et économiques, par exemple sur l’aquaculture, qu’on commence juste à étudier.
A qui la faute ?
Les alertes sur la pollution des mers ont eu le mérite de réveiller les consciences. Même si des idées sans doute un peu utopiques ont pu germer pour collecter ces masses de plastique dans les océans, il semble bien que le problème se situe à la source, dans l’ensemble du cycle de production-usage-élimination du plastique.
C’est en fait toute une chaîne de responsabilités qui est en jeu. Chaque maillon a eu longtemps tendance à renvoyer la faute sur le suivant. Chimistes et plasturgistes se cachent ainsi volontiers derrière leurs donneurs d’ordre, les grandes marques d’alimentation et d’hygiène-beauté, qui à leur tour pointent du doigt le comportement incivil et les habitudes des consommateurs. Lesquels déplorent l’inefficacité des dispositifs de collecte par les pouvoirs publics. De fait, moins de 10 % des bouteilles plastiques sont collectées, triées et recyclées à Paris, où il n’y a toujours pas de tri sélectif dans les poubelles sur la voirie… Pendant ce temps, l’équivalent d’une benne de déchets finit chaque minute dans la mer.
La mobilisation publique est récente
Pourtant, les États ont commencé à prendre des mesures. D’abord en s’attaquant à ce plastique à usage unique, omniprésent, envahissant et difficile à recycler. La France a été le premier pays à interdire les sacs plastiques non réutilisables en caisse, environ 1 milliard chaque année ! Résultat, la consommation a baissé de 90 % en 15 ans. La loi française sur la transition énergétique a imposé d’ici la fin de l’année la fin de la vente de verres et d’assiettes en plastique.
De son côté, l’Europe a pris récemment des engagements fermes : interdire vaisselle mais aussi couverts et coton-tige en plastique d’ici 2021 et bannir les plastiques à usage unique à horizon 2030 ; collecter 90% des bouteilles plastique et doubler le part des déchets plastiques recyclés à 30% d’ici 2025. Mais ce n’est qu’une partie du problème, le plastique à usage unique ne représente par exemple que 4% de la production mondiale de plastique.
Alors que faire devant ce matériau devenu omniprésent dans nos vies, au point de menacer la nature, l’homme et la biodiversité ? Le plastique serait-il devenu incontrôlable ? Pourtant des solutions existent. Elles nécessiteront une mobilisation collective et résolue de tous les acteurs de la chaîne du plastique, des producteurs aux consommateurs, avec une forte volonté politique, aussi bien aux niveaux national que supranational.
« Le monde entier peut être plastifié. Et la vie elle-même puisque, paraît-il, on commence à fabriquer des aortes en plastique. » 70 ans après, la prophétie de Roland Barthes dans Mythologies (1957) s’est réalisée. Le plastique est présent partout : dans nos vies quotidiennes, au plus haut des glaciers et au plus profond des mers. Dans nos assiettes, nos estomacs, et sans doute déjà dans nos organes vitaux. Et il tue, les animaux et peut-être les hommes. Le problème est mondial car le plastique voyage comme la pollution et le dioxyde de carbone. Des solutions existent et peuvent être mises en place. Mais le chemin sera long pour apprendre à vivre avec – voire sans – le plastique.
— Emmanuel Bonnard, Département de l’information / Direction de la Communication Groupe Crédit Agricole